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  23. Avis de tempête
 





Chapitre XXIII                  Avis de tempête


Oscar, transformée en statue de sel sur sa chaise, continuait de fixer les deux hommes face à elle de toute son incompréhension. Choquée en apparence par ce que venait de révéler le Duc de Broglie, mais sentant grandir en elle un étrange sentiment dont elle ne savait encore déterminer la nature. Comme les remugles sourds d’un torrent dévastateur peut-être…

_ « Imaginez ma stupéfaction, Capitaine » poursuivait de Broglie. « Les Templiers…Cet Ordre mythique, que je croyais à jamais anéanti après les terribles exécutions ordonnées par Philippe le Bel. Et que je voyais aujourd’hui venir à moi pour me soumettre le plus incroyable des stratagèmes… »
Oscar le scruta avec intensité, plus vraiment sûre de vouloir entendre ce qui allait suivre tant sa colère montait désagréablement.
_ « Car me fut révélée une chose invraisemblable : le traître dont je soupçonnais l’existence n’était autre que le Chancelier du Roi. C’était lui qui favorisait la fuite d’informations secrètes, lui qui préparait ce terrible complot contre nos alliers, lui enfin qui commerçait ignominieusement avec le Duc Philippe d’Orléans, ennemi juré du pouvoir en place. Mais comme moi les Templiers n’avaient aucune preuve tangible. Alors fut « organisé » ce faux complot, autour de ce « faux message codé », qui nous est tombé du ciel par je ne sais quelle grâce divine. » 

Et le Duc de ressortir ce document que la jeune fille ne connaissait que trop.
_ « Ainsi tout ceci n’a été qu’une mascarade, depuis le début… » articula lentement la jeune fille, crispant insensiblement le poing lorsque de Broglie confirma.
_ « Exactement. Vous vous souvenez de votre toute première convocation chez Sa Majesté ? Et bien tout était prévu par avance : le « retard » de ce prétendu espion occupé à jouer les jolis coeurs, la colère du Roi, ma gêne clairement affichée. Tout ceci n’était qu’un leurre, destiné à faire croire à Maupeou que nous lancions sur cette fausse piste une sorte de libertin extravagant guère dangereux.
Voilà également l’explication de la présence du Comte de Fersen au bal de l’Opéra, qui devait faire assaut de galanterie le plus ouvertement possible pour coller à son rôle de séducteur invétéré. C’est là que vous l’y avez rencontré d’ailleurs, ce qui n’était absolument pas prémédité. »
_ « Vraiment ? »
 
Aucun des deux hommes ne sembla remarquer le ton cassant de la jeune fille, ni les nuages qui s’amoncelaient peu à peu dans son regard.
_ « Votre hostilité réciproque n’était pas non plus prévue, cela va sans dire » soupira de Broglie, « J’ai vraiment cru un moment que tout ce beau mécanisme allait s’écrouler à cause de cela…Mais au fond cela nous a servi : vos débordements ont finalement conforté nos ennemis que vous n’étiez pas très crédibles tous les deux, endormant rapidement leur vigilance et… »
_ « Alors c’est ça que j’ai été pour vous ?!! » explosa brusquement Oscar, ne pouvant se contenir plus longtemps.
 
D’un bond elle se leva, comme prête à les engloutir de sa fureur.
_ « Voilà donc ce que j’ai été : un alibi, une sorte de bête curieuse qu’on lance entre les pieds de ses ennemis comme un jeune chiot sans cervelle !! Refusant de me mettre dans votre stupide confidence pour mieux me manipuler n’est-ce pas ?!! »
Le Duc de Broglie s’était levé lui aussi, stupéfait.
_ « Mais non, enfin ! Je…pas du tout, ce n… »
_ « Vous m’avez menti !!! » coupa la jeune fille, folle de rage. « Vous m’avez menti, humilié, ridiculisé !! »
Fersen intervint à cet instant, fit un pas vers elle.
_ « Allons Oscar , calmez-vous ! Et écoutez-moi plutôt… »
Ce fut pire. Les fureurs d’Oscar dévièrent de son objectif initial pour se déchaîner sur la haute silhouette qu’elle fusilla sur place.
 
_ « Et vous !!! Comment osez-vous me parler, comment osez-vous même rester dans cette pièce après ce que vous m’avez révélé !!! Jamais je ne vous pardonnerai vos mensonges, cette sinistre farce que vous m’avez joué en vous faisant passer pour mort !! Comment avez-vous pu me faire une chose pareille ! »
_ « Mais Bon Dieu Oscar, allez-vous m’écoutez, oui ? » s’exclama le jeune homme en s’énervant à son tour, peu disposé comme à son habitude à se laisser impressionner. Cette assurance naturelle ne fit qu’accroître sa colère.
_ « Taisez-vous espèce de misérable !! » hurla t-elle en sentant ses larmes monter. « Comment avez-vous pu vous moquer de moi de cette façon ! Ignorez-vous quelle a été mon agonie, ma souffrance durant ces jours abominables ? La douleur qui a été la mienne, le fait même que j’ai failli mourir moi aussi, et pourquoi ? Pour vous retrouver ici, bien tranquille, parfaitement satisfait du bon tour que vous m’avez joué, c’est ça ? »
_ « Vous avez fini ? Maintenant taisez-vous et écoutez ! »
 
Indomptable, la jeune fille s’avança vers lui.
_ « Jamais !! Plus jamais je ne vous écouterai et…et je vais même faire ce que j’aurais du faire depuis le tout premier jour où je vous ai rencontré !! »
 
Elle se jeta sur lui, hors d’elle, exactement comme dans le bureau du Duc de Broglie lorsqu’elle avait découvert que l’odieux personnage du bal de l’Opéra et le séduisant espion n’était qu’une seule et même personne.
De Broglie justement, qui n’eut que le temps de se précipiter pour tenter de s’interposer…et recevoir un direct du droit en pleine figure, suivi d’une sauvage tentative de strangulation qui évidemment ne lui était pas destinée. Le pauvre homme fut bientôt pris entre deux feux quand Fersen tenta de son côté de faire lâcher prise à la jeune fille, secoué par eux deux comme un beau cerisier mûr.
Ce n’est vraiment que lorsque l’auguste visage pris la même teinte cramoisie de ce fruit délicat, qu’Oscar consentit à desserrer l’étau de son attaque, sans se calmer pour autant. Elle se dressa, plus fière que jamais.
_ « Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire, Fersen ! Adieu !!! »
Et elle tourna les talons, balança le battant de porte avec fracas.
 
_ « M…mais qu…qu’est-ce qui lui prend ! » articula de Broglie tant bien que mal, toussant et crachant afin de reprendre son souffle.

Au bout d’un moment, surpris par le silence du Comte il leva les yeux sur ce dernier qui, contre toute attente, affichait le plus rayonnant des sourires. Il contemplait toujours la porte, comme sous le coup d’une vision céleste. Décidément, ces deux-là étaient bien fous !
Mais c’est pourtant d’une voix calme et parfaitement posée que Fersen reprit la parole.

_ « Ce qui lui prend ? » murmura t-il, comme pour lui-même. « Ce qui lui prend…Elle est amoureuse, voilà ce qui lui prend ! Le problème, c’est qu’elle ne le sait pas encore. »
 Le Duc faillit succomber à une nouvelle attaque.
_ « Quoi ?!! Amoureuse ?!! Vous voulez dire que…qu’elle…enfin que vous…qu’elle est…»
Fersen jeta un regard amusé aux pauvres bégaiements.
 
_ « Voilà, c’est un bon résumé de la situation.  Maintenant il s’agit évidemment de faire entendre raison à ce ravissant cyclone, et lui montrer que ses sentiments sont réciproques. »
_ « Hein ? Parce que… vous aussi …vous êtes...»
_ « Exactement. Mon cher de Broglie, vous avez décidément tout compris avec la perspicacité qui vous caractérise. Bien, vous ne m’en voudrez pas de vous laisser n’est-ce pas ? Et souhaitez-moi bonne chance plutôt car il n’est vraiment pas sûr que je ressorte vivant de cette dernière mission. »
_ « PARDON ? Vous n’allez tout de même pas lui …maintenant … »
_ « Si. Bravo de Broglie, j’aime beaucoup votre esprit de synthèse. Et bien moi aussi je vous dit adieu mon ami, c’est peut-être la dernière fois que vous me voyez en bon état de marche» s’amusa t-il.
_ « Ah bon parce que…vous voulez dire que…qu’elle va vous… »
_ « Tuer ? Mmm c’est une possibilité, oui ! » rit Fersen. «  En fait je suis persuadé que vider toute l’eau du Nil à l’aide d’une petite cuillère est infiniment plus facile que de la convaincre de laisser parler son cœur. Mais la chance sourit aux audacieux dit-on, alors…soyons audacieux. » acheva t-il en se lançant résolument à l’assaut de sa charmante forteresse…
 
En arrivant dans le couloir, Fersen perçut ce qui s’apparentait bel et bien à une tempête dévastatrice. Il ne prit même pas la peine de frapper, entra dans la chambre sans attendre.
Oscar y était occupée à rassembler le peu d’affaires qu’elle avait, agressant le moindre objet à sa portée.
_ « Qu’est-ce que vous faites ici, SORTEZ !! » hurla t-elle aussitôt.
 
Ses yeux rougis parlaient pour elle, de même que le geste furieux qu’elle fit pour les essuyer d’un revers de manche. Pourtant, loin d’obéir à l’injonction Fersen claqua la porte à toute volée, très mécontent lui aussi.
_ « Hors de question que je sorte Oscar ! En tout cas pas avant d’avoir une sérieuse discussion vous et moi. »
Prise de court durant une seconde elle fit face, se planta avec toute la détermination de son cœur blessé.
_ « Discuter ? Et de quoi grand Dieu ! » ricana t-elle. « Du fait que vous m’ayez trompé depuis le début, de m’avoir joué la plus honteuse des comédies ? Comme ce soir de bal par exemple, où vous m’avez servi ce grotesque étalage de séduction ! J’espère que vous vous êtes bien amusé à mes dépends au moins ! »
_ « Mais de quoi parlez-vous, bon sang ! »
Elle le singea.
_ « Madame, mais quel resplendissant soleil vous êtes ! Me permettrez-vous de vous apprendre à danser ? » Elle le terrassa de son mépris. « Et après ? La prochaine leçon se serait passée dans votre lit, j’imagine ? »
 
Il s’avança vers elle, la mine terrible.
_ « Oscar, faites attention à ce que vous dites… » gronda t-il
_ « Et pourquoi ! Est-ce la vérité qui vous blesse ? »
La voix de la jeune fille s’était brisée, et ce n’était pas de colère cette fois. La souffrance vibrait dans son regard, ses larmes prêtes à déborder de nouveau.
_ « Vous m’avez trahi Fersen, jamais je ne vous le pardonnerais ! »
_ « Vous trahir ? » explosa le Comte. « Pour vous avoir menti sur ma véritable identité, c’est bien cela ? Et vous Oscar, qu’avez-vous fait en me cachant être une femme ! »
Elle ouvrit des yeux furieux.
_ « Co…comment osez-vous…Cela n’a rien à voir ! 
_ « Ah non ? Allez-vous me dire que votre mensonge est plus honorable que le mien, peut-être ? »
 
Il profita de ce qu’elle ne trouva rien à répliquer pour poursuivre
_ « Oui je vous ai menti, je ne peux le nier. Mais pas pour les stupides raisons que vous croyez ! Bon Dieu Oscar, ouvrez les yeux ! Regardez un peu autour de vous, quel est ce monde qui est le nôtre ! Croyez-vous vraiment qu’il soit aussi défini, aussi tranché que vos opinions ? Que tous ceux qui le peuplent soient blancs ou noirs, bons ou mauvais ? Vous parlez de trahison, de mensonge, mais le monde n’est fait que de cela précisément, pétri de corruption et d’injustice ! »
_ « Mais c…c’est horrible ce que vous dites ! » s’écria la jeune fille. « Je ne peux tolérer un tel cynisme ! Oh je sais, selon vous tout est permis n’est-ce pas! Mentir, dissimuler, tout est possible du moment que cela sert une cause quelconque ! Et bien moi je refuse cela, vous entendez ? Car alors cela reviendrait à dire qu’il est inutile de se battre, de croire en quoi que ce soit, d’avoir le moindre idéal ! A vous entendre, l’honnêteté n’existerait pas ! »
Fersen considéra un instant ce fin, ce ravissant visage révolté qu’il aimait plus que tout. Et secoua lentement la tête, mâchoires crispées sur un semblant de calme retrouvé.
_ « Non Oscar, au contraire… »
 
Il se détourna, marcha vers les baies où dansaient les reflets du feu de cheminée animant la pièce d’ombres mouvantes, comme son propre cœur. Sa voix s’éleva, calme et grave, très douce.
_ « Je sais que je vous choque, Oscar. Mais ce que j’aimerais tant vous faire comprendre, c’est que, parfois, il faut aussi savoir user des armes de son ennemi pour faire triompher un semblant de justice, et franchir cette ligne si mince, si subjective, qui sépare le bien du mal. Oui je vous ai caché qui j’étais réellement, j’ai trompé votre confiance bien des fois par mes mensonges. Et j’ai également feint ma propre mort, au mépris de vos sentiments, tout du moins en apparence. Car s’il est vrai que ce procédé était cruel… » Il se retourna, lentement, le visage tendu. « …il n’a eu pour but que de protéger l’être le plus exceptionnel qu’il m’ait été donné de rencontrer. Vous, Oscar.»
Elle vacilla sous ce coup inattendu, stupéfaite.
 
_ « Dès le moment où les documents furent en notre possession nous étions condamnés Oscar, sachez-le. Je crois que vous n’avez jamais vraiment pris la pleine mesure de la cruauté de nos ennemis : vous ne savez pas quels ont été leurs procédés pour faire parler les quelques Templiers qui sont tombés entre leurs mains. Car cette lutte contre les Illuminatis est ancestrale, implacable, plus sauvage que tout ce que vous ne pourrez jamais imaginer. Une lutte bien loir d’être gagnée malgré la réussite éclatante de notre mission. Vous m’accusiez d’être cynique tout à l’heure ? Non, simplement lucide, pour avoir vu ce dont est capable la barbarie humaine si tant est que l’on peut faire côtoyer ces deux mots. Et parce que vous êtes pure Oscar, droite, portant haut des valeurs de courage et d’honneur exceptionnelles, j’ai voulu vous protéger de toute cette laideur. Voilà pourquoi ma mort était nécessaire.»
Le jeune homme avança de quelques pas, mourrant d’envie de prendre dans ses bras cette frêle silhouette qui tremblait, agitée sans doute par le conflit intérieur que ses paroles faisaient naître. Mais il s’arrêta à quelques mètres et poursuivit son récit. Non, sa confession plutôt.
 
_ « J’ai soudoyé le médecin, lui ordonnant de faire croire que ma blessure sans gravité était fatale, puis j’ai ingurgité une drogue à base de digitaline destinée à ralentir mes pulsations cardiaques, au point de presque les faire disparaître. J’avais alors tout d’un cadavre, à vos yeux bien sûr, mais plus important à ceux d’une dizaine de témoins prêts désormais à jurer leurs grands dieux que j’étais bel et bien mort. Ce qu’ils firent d’ailleurs, lorsque peu après votre départ des hommes déboulèrent dans la salle comme des possédés. »
_ « Vous voulez dire que…que nous étions suivis ? »
_ « Bien sûr. Les Illuminatis sont puissants pour cela car ils s’attachent toutes sortes de complicités, même les plus modestes. La délation est leur plus sûr outil. D’une façon ou d’une autre ils surent où nous étions, et comprenant très vite ce que vous alliez faire des preuves en votre possession ils se lancèrent à votre poursuite. Moi il me fallut encore quelques heures pour me mettre en route, le temps que le médecin m’inocule le contrepoison que je lui avais confié. Ainsi je pus prévenir le Duc de Broglie que le plan ultime devait se mettre en place, et qu’il fallait vous ouvrir la route. »
 
_ « Quoi ? » s’écria Oscar, encore plus stupéfaite.
_ « Mais oui. Moi aussi je me doutais de votre initiative, je vous connais si bien. Je savais que vous ne compteriez que sur vous-même, fidèle à votre incroyable courage. Mais même avec toute la vaillance du monde, vous ne pouviez y arriver seule. J’ai donc rallié quelques uns de mes compagnons, pour à notre tour poursuivre vos assaillants.  »
_ « M…mais comment les avez-vous prévenu, par quel moyen ! »
Le Comte sourit, se détendant un peu.
_ « Par le plus simple, le plus bête qui soit ! Un procédé connu depuis la nuit des temps: le pigeon voyageur, ma chère Oscar. Eh oui, ce fidèle ami de l’homme, ce brave petit volatile à la remarquable intelligence ! Qui me permit tout le long de notre enquête de garder contact avec le Duc. Et voilà comment vous avez eu une garde rapprochée manoeuvrant dans l’ombre durant tout votre périple, qui vous a protégée jusqu’à votre arrivée à la frontière prussienne. »
Elle était un peu perdue il le savait, totalement déstabilisée même.
 
_ « Là où nous avons été pris de court par contre, c’est en découvrant Rochemont et ses sbires au poste frontière, et votre réaction surtout, forçant les barrages à vous seule avec une incroyable audace. La confusion fut totale : quand nous sommes arrivés les prussiens comme les français nous ont tiré dessus, sans compter ces fripouilles qui cherchaient à s’enfuir pour continuer leur poursuite. Avec beaucoup de difficulté nous avons pris l’avantage et c’est à ce moment là que nous avons perdu votre trace ; vous avez d’ailleurs été remarquablement habile pour nous fausser compagnie à tous. Rochemont et ses complices étaient morts en tout cas, plus rien désormais ne pouvait vous menacer jusqu’ à votre arrivée ici… »
 
Elle le regardait, plus vraiment comme avant mais toujours sur la défensive. Encore plus même.
_ « Plus rien ? » s’emporta t-elle. « Et mon désespoir, cela n’est rien ? Ma souffrance, cette douleur qui m’a noué l’estomac durant des jours pour vous avoir cru mort ! Jamais je ne vous pardonnerai cela Fersen, jamais ! Quelles que soient les circonstances vous n’aviez pas le droit de décider pour moi de ce qui était juste ou non, bien ou mal ! Vous n’aviez pas le droit de me mentir ainsi !»
Il la brûla d’un regain de colère.
_ « Et vous Oscar ! Aviez-vous le droit de me cacher votre véritable nature? »
Colère qu’elle lui renvoya aussitôt.
_ « Cela n’a rien à voir, je vous l’ai dit ! Et qu’est-ce que cela aurait changé d’abord, qu’auriez-vous dit si vous l’aviez su ! »
_ « Je n’en sais rien mais… »
_ « Et bien moi je sais, je sais très bien ce que vous auriez dit ! Vous auriez refusé cette mission par le simple fait que j’étais une femme, avouez-le ! »
_ « Quoi, que j’avoue…quoi ?!! »
Il prit vraiment les dieux à témoins : bon sang mais quelle entêtée !
 
 _ « Alors vous Jarjayes, vous êtes vraiment incroyable ! Comment pouvez-vous être aussi péremptoire ! Accuser les gens ainsi sans autre forme de procès, sans même les connaître ! »
_ « Parce que vous, je vous connais justement ! »
Il s’avança vers elle, sentant l’impatience le gagner de nouveau.
_ « Ah oui ? » mâcha t-il. « Et bien allez-y, ça risque d’être instructif ! Dites-moi comment je suis puisque vous êtes si forte ! »
 
Prise de court, encore une fois, par cette détermination sans faille, il la vit se troubler un peu mais guère céder un pouce de terrain.
_ « V…vous vous êtes… »
_ « Oui ? »
_ « Et bien…Vous êtes d’une arrogance sans pareille, voilà ! »
Il fit un pas, la mine sombre.
_ « Quoi d’autre ? »
_ « Et…et autoritaire ! »
Elle recula, surprise de le voir approcher encore.
_ « Prétentieux … » continua t-elle, hésitante.
Sa voix défaillit un peu quand elle s’aperçut qu’il avançait plus vite qu’elle ne reculait.
_ « E…é…égoïste… »
_ « C’est tout ? » gronda t-il en la voyant s’interrompre, troublée. « Vous en oubliez pourtant : détestable, menteur, coureur de jupons, vous n’en parlez pas ? Sans oublier le plus important évidemment : pauvre imbécile, éperdument amoureux d’un militaire au caractère de cochon ! Ah, et puis vaniteux, misogyne bien sûr, v… »
_ « Qu’est-ce que vous avez dit ? »
Fersen stoppa sa marche implacable, considéra celle qui venait de buter contre le mur et le regardait de ses irrésistibles prunelles couleur d’écume déchaîné.
 
Voilà, enfin… Ce moment tant attendu, où une toute petite partie de sa cuirasse commençait à se craqueler, pour bientôt voler en éclat.
_ « Oui espèce de jeune folle, je vous aime ! Ne l’aviez-vous pas compris ? Je suis fou de vous Oscar, au point d’avoir voulu me trahir cent fois, mille fois, d’envoyer au diable cette mission et tous ceux qui comptaient sur moi par amour pour vous ! »
_ « C’est faux !!! »
Toutes ces années de lutte, cette patience à créer un être hybride, tout cela oui ne pouvait que la faire souffrir en disparaissant. Car la peur de souffrir est pire que la souffrance elle-même, ce cri en était la preuve et ses yeux sa meilleure réponse.
_ « Vous mentez !! » hurla t-elle, perdant pied. « Je ne vous crois pas ! A combien d’autres femmes avez-vous servi ce discours grotesque, dites-le moi ? Je ne suis pas une de vos filles d’auberge Fersen, alors taisez-vous !! Taisez-vous et laissez-moi. Jamais plus je ne veux vous revoir !! » et elle se dégagea désespérément du mur.
_ « Oh non ma belle ! Cette fois vous ne vous échapperez pas comme à votre habitude ! »
 
Il capta à la volée cette taille dont il n’avait pu oublié la finesse depuis ce fameux bal où il l’avait enlacée pour la première fois, se souvint de la grâce avec laquelle elle s’était si délicieusement alanguie contre lui…Mais aujourd’hui c’était un fauve qu’il tenait ! Avec l’énergie du désespoir elle se débattit tant et plus, voulant griffer, gifler, mordre quand sa poigne se fit d’acier pour la maîtriser.
_ « Espèce de…de misérable menteur !!! Hypocrite !!! Je vous hais entendez-vous ?!!Et lâchez-moi !!! »
_ « Ça, n’y comptez pas ! »
Il resserra encore son étreinte, au point de la coller à lui, de la souder étroitement jusqu’à faire naître ses cris de rage, de colère, de trouble aussi il en était persuadé, à sentir pour la première fois un corps réellement masculin se couler ainsi contre le sien et épouser ses formes de manière si intime. Pourtant elle n’abdiquait pas, se démena sans se rendre compte qu’elle ne faisait qu’attiser chez cet homme le désir de l’enlacer davantage, toujours plus à chaque soubresaut, encore et encore, assurant ses prises à mesure qu’elle voulait se dégager.
La table non loin reçut l’ultime assaut, où le corps du Comte devint le plus sûr moyen de contenir cette catastrophe naturelle.
 
_ « Traître ! Scélérat !! » clama t-elle aussitôt, essaya surtout de continuer ses manœuvres belliqueuses. Juste quelques secondes. Le temps de s’apercevoir que s’agiter avec une superbe musculature allongée sur elle était une toute autre affaire, et que le corps d’un homme recélait lui aussi des pleins et des déliés avec lesquels il fallait compter. Oscar voulut protester, de nouveau, mais se retrouva brusquement muette sous l’effet d’une poitrine masculine essoufflée contre la sienne, très vite prisonnière de ses propres sens tout autant que de ces mains autour de ses poignets.
Incroyable comme le temps semble se suspendre durant ces instants...
Même si elle s’interdit le moindre mouvement la jeune fille fut bien contrainte de se plonger toute entière dans la clarté du regard gris-bleu, qui à lui seul la clouait déjà suffisamment sur place par son ardente admiration. Et ce sourire, beaucoup trop irrésistible.
_ « Impossible de vous enfuir, cette fois… » murmura t-il.
 
Elle releva son menton, fière, des larmes indomptables plein les yeux.
_ « Et maintenant ? Vous êtes content de la petite leçon que vous m’avez donné ? C’est bien ce que vous allez me dire n’est-ce pas, que je n’ai que ce que je mérite ! »
Il contempla cette ravissante insoumise, sentit les battements affolés de son cœur à travers la finesse de la chemise.
_ « Vous Oscar, vous ne méritez qu’une chose : que l’on vous aime. »
Un petit morceau de sa cuirasse se fissura encore, se désintégra doucement sous le velours un peu rauque de sa voix.
_ « Taisez-vous……ne dites pas ça. »
Si proche de la rupture...
_ « Et pourquoi. Ce sont les mots qui vous fait peur ? Ou ce que vous ressentez. »
_ « Je n’ai pas peur…et je…et je ne ressens rien… »
 
Le sourire du Comte s’accentua : ces quelques mots n’avaient été qu’un mensonge exhalé, murmuré au bord des lèvres.
_ « Vous ne vous rendez jamais, décidément » sourit-il. « Incapable d’admettre l’évidence…doté d’un courage sans égal mais effrayée face à vous-même, face à vos désirs de femme… »
_ « C…c’est faux, je ne…je ne suis pas une femme. Et lâchez-moi, vous me faites mal… »
_ « Menteuse. »
Il s’empara de sa bouche, avide, exigeant, goûta le gémissement de protestation qu’elle émit d’instinct, l’étouffa pour mieux le faire mourir, pour que vive celui né du plaisir lorsque son jeune corps se cambra sous le sien. Dégusta ce fruit trop longtemps défendu, le fit rougir par l’audace de son baiser, la tendresse de ses lèvres. Et en récolta le nectar quand dans un presque sanglot elle abdiqua enfin, s’offrit, croyant être conquise mais ignorant encore sa propre victoire.
Puis il quitta ses lèvres d’une dernière caresse, vaporeuse, et contempla ses yeux clos baignés de larmes silencieuses, son âme enfin à nu.
 
_ « Vous n’aviez pas le droit… » murmura t-elle. « Vous n’aviez pas le droit de m’embrasser comme cela…c’est déloyal…de me tenter ainsi. »
Il ramena une main vers sa joue pour en effleurer le tracé humide.
_ « Vous ne saviez pas ? L’amour c’est comme la guerre Oscar : tous les coups sont permis. »
_ « M…même les coups bas ? »
Il remplaça la caresse de ses doigts par celle de ses lèvres, embrassa amoureusement sa joue.
_ « Et comment. Ce sont les meilleurs… » lui chuchota t-il au creux de l’oreille.
Il eut un choc, délicieux, quand elle rouvrit ses paupières, le submergea d’un océan enfin assagi. Ou presque.
_ « A…alors apprenez moi. »
 
La même détermination, la même flamme. Fragile pourtant, douce, conquérante.
_ « Quoi, l’art de la guerre ? C’est cela que vous voulez que je vous enseigne ? »
Il choisit l’humour, comme souvent pour masquer son émotion profonde, tenter de garder le contrôle lorsqu’elle éleva la main elle aussi et toucher timidement, du bout des doigts, le tracé viril de sa bouche.
_ « Apprenez-moi… » répéta t-elle. « …apprenez-moi à être une femme, Hans… »




 
 
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