6P Designs.Adapted by Rozam

   
 
  11. Fin de soirée...
 



Chapitre XI                     Fin de soirée mouvementée


Sitôt passé le seuil de l’auberge, Oscar balança plus qu’elle ne ferma la porte derrière eux. Sous son chapeau sa mine était terrible, et personne n’aurait soupçonné qu’un trouble immense agitait pourtant cette frêle silhouette déterminée. L’animation était grande ce soir dans cette salle bondée, la bière coulait à flot simplement pour mieux faire oublier la dureté de la vie, ces petites vies qui se gonflaient ce soir d’importance sous l’effet de l’alcool.

Si les esprits s’échauffaient, si les gorges brûlaient sous l’amertume des liquides, ce n’était que fétu de paille comparé au brasier qui s’était emparé de la jeune fille.
Furieuse, elle constata que l’incandescence ressentie un instant plus tôt ne la quittait pas.
Même quand il l’avait lâché elle avait continué de percevoir sa chaleur contre elle, l’empreinte vigoureuse et douce de sa main sur son visage. Mais Bon Dieu c’était absurde !! Qu’est-ce qui lui prenait bon sang, de se sentir des faiblesses dans le genou pour un simple petit tour dans le parc !!
Foutu, foutu Fersen en vérité ! Détestable personnage qui la déroutait de plus en plus !
Pourquoi faisait-il mine de ne pas avoir deviné qu’elle était une femme ? Elle était sûre qu’il savait !
Et pourquoi cette gentillesse ce matin, pour ne montrer qu’indifférence par la suite…
 
Oscar sursauta. Mais que lui importait qu’il fût indifférent ! Il était lui-même, c’est tout : insupportable !
Et elle pauvre idiote devait d’urgence se ressaisir.
Quand elle vit le Comte aller s’asseoir elle hésita une seconde à le rejoindre. Mais la perspective de calmer son trouble par quelques verres fut la plus forte ; elle s’assit face à lui, le regard très sombre. Et décida d’attaquer, car la couche profonde de sa personnalité se révulsait à l’idée de continuer cette valse-hésitation.
_  « Depuis quand savez-vous ? »
 
Il releva la tête, lentement, distillant la clarté d’un regard aigu sous les rebords de son couvre chef.
_ « A quel propos… » murmura t-il, un léger sourire aux lèvres.
Les mâchoires de la jeune fille se crispèrent.
_ « Alors c’est ça n’est-ce pas, » gronda t-elle, « vous persistez à me faire croire que vous ne comprenez pas ! Pourquoi ? Vous voulez m’humilier ? Me forcer à vous avouer la vérité pour mieux vous moquer de moi , après ? Et bien d’accord ! Je vais vous la dire car sachez que de ma vie je n’ai jamais reculé devant rien ni personne. Oui, c’est vrai, je suis une…femme. Alors, vous êtes content ? »
Dieu, que ce mot était donc difficile…
Elle s’apprêta à recevoir ses sarcasmes de plein fouet mais rien ne vint. Il se contenta de baisser et d’occulter de nouveau son visage par les rebords de son chapeau, sembla se concentrer sur son verre. Et c’est une voix très douce qui s’éleva. Une voix grave, chaude, qui se faisait sensuelle et un peu rauque quand il parlait ainsi tout bas.
_ « A mon tour de vous faire savoir une chose, Jarjayes : de ma vie je n’ai jamais forcé une demoiselle, en quoi que ce soit. Ni physiquement…ni moralement. Aussi votre condition véritable n’a pas plus d’intérêt à mes yeux qu’elle n’en a aux vôtres. »
_ « Quoi ?! M…mais qu…que voulez-vous dire ! » balbutia Oscar, suffoquée par une réaction qu’elle était à mille lieux de prévoir.  
 
Il prit le temps de boire une gorgée avant de répondre, se redressa et s’adossa, puis croisa confortablement les bras de son habituelle élégance pour la considérer.
_ « Croyez-vous vraiment que l’appartenance à un sexe ne soit due qu’à l’aspect extérieur, qu’à la surface des choses ? N’avez-vous jamais songé que le mental a lui aussi une place prépondérante dans notre façon d’agir, de penser, de nous comporter…Certains hommes à la sensibilité toute féminine peuvent éprouver de bien grandes souffrances morales savez-vous, à se sentir prisonniers d’un corps lourd dont la rudesse leur déplaît. Pareillement une femme jugera insupportable de ne pas avoir les attributs…évidents d’une masculinité féroce, n’est-ce pas ? »
 
Oscar rougit à cette remarque accompagné du plus séduisant des sourires, comprenant qu’il faisait évidemment allusion à la petite séance de ce matin. Profondément confuse elle baissa la tête à son tour, ne sachant plus comment se comporter face aux vérités qu’il venait d’énoncer.
_ « Et alors, où voulez-vous en venir… » jeta t-elle, agressive pour cacher sa faiblesse.
_ « Vous voulez vous faire passer pour un homme aux yeux de tous ? Soit. Je n’ai rien à en dire. Puisque visiblement vous vous obstinez à croire que vous n’êtes pas telle que la nature vous a faite, je n’avais aucune raison de ne pas le croire moi non plus. Vous me demandiez depuis quand je le sais ? Et bien disons que depuis le début…je m’en doutais plus ou moins. Il est vrai que ce matin vous m’avez donné des…preuves plus que concrètes de ce que je soupçonnais mais je me suis tu, car je vous l’ai dit je ne force jamais une demoiselle à admettre ce qu’elle ne veut pas…même si la demoiselle se trompe. » soupira le Comte, fataliste.
 
Comme s’il venait d’appliquer un fer rouge sur sa peau la jeune fille releva la tête, le regard flamboyant.
_ « Qu’avez-vous dit Fersen ? » rugit-elle, la tête un peu embrouillée, « insinueriez-vous que je ne suis pas…masculine? »
Son sourire s’intensifia à cette remarque ingénue.
_ « Je n’insinue pas…j’affirme. Et je ne suis pas le seul d’ailleurs, la Nature est semble t-il de mon avis… »
Et Oscar, définitivement troublée cette fois, de découvrir qu’il venait d’allumer plein feux un sourire des plus ravageurs pour la dévisager. La boule incandescente repris de la vigueur au creux de son estomac, mais n’en attisa que plus ardemment sa rage. Indomptable, elle arrima ses avant-bras sur la table pour venir chercher et défier ses yeux.
_ « Alors écoutez-moi bien Fersen : vos ridicules petites théories concernant la nature humaine ne m’intéressent pas ! Je SUIS un homme, entendez-vous ? Et pour des raisons que je n’ai certes aucune envie de vous expliquer, ni maintenant, ni jamais ! Alors rangez vos sourires stupides et réservez-les plutôt pour vos grosses femmes d’auberge si cela vous chante. Mais pas de ça avec moi, suis-je clair ? » Elle se redressa, fière, lui jeta un dernier défi dans le mouvement de son menton. « Ainsi vous trouvez que je ne suis pas masculine ? Et bien c’est ce que nous allons voir !!! »
 
Farouche elle retira chapeau et manteau, et dans le même mouvement se dirigea sans hésiter vers l’homme le plus volumineux de la salle, né semblait-il des amours émus d’un ours et d’une barrique. Oscar bouscula son épaule, aussi déterminée que lorsqu’elle dirigeait ses troupes.
_ « Vous, là , le gros plein de soupe ! Levez-vous ! »
Occupé à boire avec toute une tablée fort bruyante, le monstre imbibé mit quelques secondes pour se retourner et considérer la jeune fille d’une paupière lourde.
_ « Hein… Non mais qu’est-ce qui me veut, le nabot !!» grogna t-il, confirmant son appartenance à la race des plantigrades.
 
Tandis que toute la table s’esclaffait, Oscar se sentit durement empoignée par le bras. Fersen ne souriait plus du tout quand il plongea ses yeux dans ceux de la jeune fille.
_ « Bon Dieu mais qu’est-ce que vous faites, Jarjayes ! » gronda t-il tout bas, mâchoires dangereusement serrées.
Il la dominait de toute sa hauteur mais si près…qu’Oscar vit pour la première fois la teinte subtile de ses prunelles gris-bleu. Extraordinairement contrariée par cette constatation, elle se dégagea brutalement de son étreinte et fit de nouveau face au bonhomme.
_ « Vous ! Je trouve que vous buvez comme une véritable fillette ! Peuh, vous n’avez rien dans le ventre j’en suis sûr ! Une grosse outre remplie de vent, voilà ce que vous êtes !!! »
Les rires redoublèrent, mêlés aux sifflets et aux cris de contentement de la salle en voyant ce qui se profilait.
Le monstre par contre n’eut pas vraiment l’air de l’être, content.
Il se dégagea de son banc, dévida toute la hauteur vertigineuse et la masse de sa silhouette.
_ « Qu’est-ce que t’as dit, nabot ? Tu peux répéter ça ? »
 
Le Comte s’avança aussitôt, s’interposa entre cette montagne et la jeune fille.
_ « Allons, allons mon brave, ne nous énervons pas ! » sourit-il pour d’étendre l’atmosphère, « mon compagnon ne sait vraiment plus ce qu’il dit. Excusez-le il est très fatigué. D’ailleurs nous allons regagner nos chambre, et… »
Ne se souciant absolument pas du jeune homme Oscar le contourna, revenant se planter devant le gros type pour l’ultime défi.
_ « Tu veux que je répète ? » lui jeta t-elle sauvagement, nez en l’air tant il était grand. « Oui, tu bois comme une fillette !! Et je te parie que tu ne tiendras pas plus d’une minute contre moi ! »
La salle entière hurla sa joie : un duel !! Mais pas comme le font ces aristos de malheur avec leur épée ! Un duel, un vrai, de ceux fait pour les hommes qui en ont dans la culotte !
Rapidement, on s’organisa.
 
Une table fut prestement débarrassée de ses joueurs de cartes et amenée au centre, deux chaises disposées de chaque côté ; les paris ne tardèrent pas non plus à fuser en tous sens avec un net avantage pour l’ours-barrique, la cote du « petit nabot blond » remontant un peu toutefois lorsqu’à la place de la bière il exigea de l’eau-de-vie pour affronter son adversaire. Et bientôt, la joute commença.
 
Impuissant, mine sombre, Fersen contemplait la scène de loin sans avoir pu réussir un instant à la raisonner, pestant intérieurement face à ce tempérament décidément trempé dans les flammes de l’enfer. Mais fut pris très vite lui aussi par la fièvre qui s’empara de chacun quand on vit le nabot vider sans sourciller verre après verre, défiant son vis-à-vis d’une indomptable fierté.
Au bout de dix minutes la tension se fit palpable.
Le Comte avait écarté quelques dos, s’était remis au premier rang pour englober l’incroyable spectacle.
 
La salle s’était un peu calmée et retenait à présent son souffle à chaque fois qu’un verre se vidait, puis explosait à l’unisson.
_ « Vingt-cinq !!! » hurla t-elle justement avec un bel ensemble quand le monstre eut vidé d’un trait le liquide transparent. Des « chut » sonores comme des soufflets de forge mouchèrent aussitôt les applaudissements : c’était au tour d’Oscar.
_ « Vingt-cinq !!! »
Les petits cadavres vides s’amoncelaient sur la table, et la jeune fille ne lâchait prise. Comme le constata Fersen son regard était trouble mais sa volonté intacte, aucun signe ne traduisait son ivresse hormis une certaine raideur, peut-être.
_ « Vingt-six !!! »
Gagné par l’enjeu le Comte serrait les poings, comme pour insuffler du courage à cette silhouette si frêle, si lumineusement fragile dans cet océan de beuverie que pourtant elle dominait.
_ « Vingt-six !!! »
Elle tenait toujours.
Le colosse avança sa main, dangereusement tremblante, essaya de la raffermir avant de se saisir du verre ridiculement petit pour ses doigts boudinés. Plus par automatisme que geste conscient il capta enfin le breuvage, renversa quelques gouttes en levant son bras pour mener l’alcool jusqu’à ses lèvres. Et n’arriva jamais à destination.
La main, désormais indépendante de ce gros corps vaincu par l’ivresse, déversa l’alcool sur la table tandis que l’énorme masse vacillait sur ses bases puis basculait de sa chaise avec un fracas d’apocalypse. 
 
Un concert de contrariété accueillit la défaite mais les partisans du « nabot » imposèrent silence. Un instant les supporters de l’ours reprirent espoir : pas de victoire si le vingt-septième verre n’était vidé.
Avec appréhension le Comte regarda la main fine se tendre vers le liquide posé devant elle, le délicat visage se tordre quelque peu pour éclaircir une vision incertaine. Des rires fusèrent quand elle referma ses doigts sur le vide, mais les « chut » triomphèrent encore. Dans un silence de mort on vit le bras se lever, comme au ralenti, une trentaine de paires d’yeux suspendues à ce geste quasi immobile…
_ « Vingt-sept !!! » hurla la salle dans un tonnerre d’applaudissements, de cris de joie ou de déception selon l’angle de la table, le Comte étant également copieusement assommé de coups enthousiastes sur l’épaule par le simple fait d’être l’ami d’un tel champion.
 
Ledit Champion se leva précisément, très raide en effet, salua fort dignement l’assemblée…et s’effondra sous les rires et les bravos frénétiques. En quelques pas il fut près d’elle, riant lui aussi. De soulagement.
Deux ou trois bonnes âmes l’aidèrent à la relever et le Comte sentit l’urgence de la soustraire aux mains involontairement inquisitrices de ses admirateurs. Nul doute qu’à la palper ainsi ils n’auraient mis que peu de temps à découvrir la supercherie. Il la hissa donc sur son épaule comme on se doit de le faire entre hommes, et quitta la joyeuse assemblée accompagné de force saluts chaleureux, la majorité des convives reprenant leurs chansons à boire surchauffées par ce match en tout point exceptionnel. « buvons un coup, buvons-en deux… » beuglaient-ils. Elle les avait tous conquis.
 
Elle n’avait pas perdu conscience, Fersen l’entendit même chantonner pareillement dans son dos tandis qu’il montait l’escalier rustique menant aux chambres. Arrivé en haut il jeta un coup d’œil prudent dans les couloirs, s’assura qu’il n’y avait âme qui vive ; puis avec d’infinies précautions fit glisser son fardeau le long de son épaule. Elle empestait l’alcool évidemment, mais ce qu’il sentit davantage fut l’éphémère et très douce caresse de sa joue sur la sienne, le poids de son corps ivre abandonné contre le sien.
Il la tint ainsi, l’écoutant divaguer un instant avant de la reprendre dans ses bras, comme une femme cette fois, en un hommage tout personnel pour l’exploit qu’elle venait de réaliser. Il considéra la tête qui avait roulé au creux de son épaule.
_ « Espèce de jeune folle… » murmura t-il dans un sourire en l’emportant vers sa chambre.
Lorsqu’il l’étendit sur le lit elle sembla reprendre un peu ses esprits. De manière très relative : elle continua juste un peu plus allègrement son délire musical, scandant les paroles comme un chef de chœur face à des élèves récalcitrants.
 
_ « A boire !! » s’écria t-elle brusquement en tentant de se redresser, si vivement qu’elle faillit l’assommer d’un coup de tête. « A boire ! J…j’ai soif ! »
_ « Bon sang, mais dans quel état vous vous êtes mise… » grommela t-il en se levant pour aller chercher un peu d’eau sur la table jouxtant l’unique fenêtre de la pièce.
Fallait-il qu’elle soit vraiment ivre…Sobre, elle lui aurait déjà cassé la figure de se voir ainsi prendre par les épaules et soutenue contre lui pour l’aider à boire. Vulnérable comme une enfant.
Vulnérable jusqu’à un certain point, quand même : la gorgée d’eau fut aussitôt explosivement recrachée.
_ « V...vous voulez…ma mort ? » articula t-elle d’un voix pâteuse. « Qu’est-ce que c’est…que ce…p…ppoison !! » et levant une paupière incertaine vers son visage, « et puis d’abord…vous êtes qui, vous ? »
Il soupira, résigné. Une femme…elle défiait vraiment tous les modèles du genre !
_ « Et..et moi, vous voulez que je vous dise…mon nom ? » poursuivait-elle, têtue. « Je mmme présente : Oscra de Jrajrayes…enchanté… »
Il l’avait lâché, se leva.
_ « Bon, il faut dormir à présent. »
La jeune fille se redressa très péniblement sur un coude, vacillante.
_ « Dormir ?!? Vous…n’êtes pas un peu fou, par…hasard ? Il fait grand jour ! » et elle désigna d’un geste emphatique les carreaux laissant voir la nuit noire. « Il f…f…faut faire la ffête au contraire !! » et de retomber en arrière, chantant de plus belle. « Buvons un coup, buvons en deux… »
Le Comte leva les yeux au ciel. Ce jour se devait tout de même d’être marqué d’une pierre blanche : une cuite d’anthologie, où le vernis du froid Capitaine avait craqué au profit d’un spectacle assez réjouissant, il fallait bien l’admettre !
 
_ « A la san-té du Roi de Fraaaan-ceuuuuuh » beuglait-elle, « Eeeet… guerre pour le Roi d’Angleterre, qui nous a déééééé-claré la meeeeerde !!! »
 
Entendant soudain son propre lapsus, Oscar éclata alors du plus frais, du plus juvénile, du plus libérateur des éclats de rire, si communicatif que le Comte ne put s’empêcher d’y mêler le sien.
_ « Vous êtes vraiment impossible, Jarjayes… » secoua t-il la tête, entreprenant de l’aider à défaire sa redingote tachée d’alcool. Quel curieux petit personnage tout de même. C’était la première fois qu’il la voyait ainsi, totalement insouciante et naturelle, solaire. Si loin du froid et irascible jeune homme qu’elle composait habituellement et…
_ « Mmmmmmm… » exhala t-elle tout à coup, les yeux clos.
C’est ce soupir de bien-être qui l’alerta.
 
Il ne souriait plus, resta un moment à la regarder, comme sortant d’un rêve.
Doucement ses mains avaient décacheté les quelques boutons de sa veste, remontaient lentement vers ce qu’elle dissimulait avec tant de soin. Et sous cette douce et chaude caresse elle avait levé les bras pour passer ses mains sous sa tête, un céleste sourire au lèvre en offrant son buste afin qu’il poursuive, qu’il vienne à la rencontre du tendre galbe qui se devinait.
In vino veritas…
Bon Dieu ! Il devenait complètement fou !
Elle était soûle, ne se rendait compte de rien, et lui misérable allait profiter de sa faiblesse ?
 
Comme si ce contact lui brûlait la paume il retira immédiatement ses mains, se dégagea du lit, de l’incroyable chaleur de ce corps surtout, de ce sourire envoûtant.
Regagnant sa propre chambre située juste à côté comme s’il fut poursuivit par un spectre, il resta un moment adossé à sa porte close, ferma les yeux.
Mais bon sang, qu’est-ce qui lui arrivait…
 
C’était réellement la créature la moins désirable qu’il avait jamais rencontré, sans aucun attrait…il se mit à marcher de long en large. Ça, c’était se dont il voulait se persuader : son sourire, son abandon…c’était impossible, il avait rêvé.
Ce n’était que son imagination qui venait de construire cette image, rien n’était vrai. Et surtout pas la grâce voluptueuse qu’elle avait eu en relevant ses bras, ni l’étrange attrait de ses lèvres l’ayant faite rayonner toute entière, soudain.
Non plus l’incroyable souplesse de ce corps alangui évidemment, les tendres courbes devinées sous ses mains, rien n’était réel.
 Il s’arrêta, prit appui sur une des grossière colonnes du lit à baldaquin, y crispa ses doigts.
Atterré, il s’aperçut que son esprit ne cessait désormais de dévider la scène à l’infini, incrustant dans sa rétine la langueur s’emparant d’elle lorsqu’il l’avait touché, son soupir de contentement, à sa merci…ne demandant sans doute à ses mains que de poursuivre, d’ouvrir la veste et le gilet, puis enfin la chem…
_ « Merde ! » jura t-il tout haut. Il fallait très vite arrêter ça, extraire ces idées grotesques de sa tête.
 
A cet instant il l’entendit reprendre sa chanson, et cette voix malhabile lui fit du bien. Une autre image vint bousculer la première, son petit visage grimaçant sous l’alcool tout à l’heure, un visage habituellement si pâle marqué aux joues de plaques rouges par l’effort.
Il secoua la tête…Cette espèce de garçon-fille, ce petit phénomène batailleur, comment pourrait-il jamais éprouver envers lui une attirance quelconque ? Un homme de sa force, d’une séduction et d’une virilité à ce point marquée, dont le charme précipitait dans ses bras ce que la nature avait conçu de plus gracieux et de féminin.
Par quelle folie bon sang penser que…
Un grand bruit mat suivi d’un rire échevelé interrompit ses réflexions : elle venait de tomber de son lit.
Alors, de manière inopinée Fersen fut pris d’un fou rire absolument incontrôlable. Dieu, comme c’était bon de se moquer de soi ! De voir enfin la situation sous son vrai jour, lui se débattant avec d’imaginaires fantasmagories et elle…avec le parquet !
Libéré, il repartit pour lui prêter assistance et la découvrit par terre effectivement, agrippée au couvre-lit essayant d’une jambe d’escalader sans y parvenir l’improbable édifice.
C’était si incroyablement comique, si différent de l’image qu’il avait laissé qu’il eut beaucoup de mal à reprendre son sérieux.
_ « Oooooh…vous revoilà, vous… » articula t-elle avec ravissement quand il la prit par la taille pour l’asseoir sur le lit. Elle était encore plus ivre que tout à l’heure, semblait-il. Comme un bateau pris dans la tourmente elle tangua dangereusement lorsqu’elle fut assise, s’écrasa contre lui, un peu plus solide à la deuxième tentative qu’il fit pour la stabiliser. Puis il s’agenouilla pour lui défaire ses bottes.
 
_ « Vous s…savez quoi ? » continua t-elle, la tête dodelinante mais essayant de le fixer de ses yeux brumeux. « Vous res…semblez beaucoup à…au Comte de Frrr…de Fessss…de Fresnnnn…au Comte de Machin-Chose ? »
Eh bien…au moins il n’était pas revenu pour rien, ça promettait d’être instructif.
_ « Qui est-ce, un ami ? » questionna le Comte, hautement intéressé de savoir ce qu’elle pensait réellement de lui.
_ « Qui ça, Frrrr…Machin-Chose ? » s’anima t-elle. Ah non alors, pouah ! Jam…mais de la vie ! Pouah ! » et de dégoût tira une langue chargée. Très élégant…
_ « Et pourquoi ? »
Curieux cette pointe de contrariété aiguillonnant son cœur. Il haussa les épaules. Quelle importance après tout.
_ « Pourquoi… » déversa pâteusement la jeune fille. « Parce qu’il est méchant…v…voilà pourquoi. Il est égoïste en plus et…égoïste aussi…n’aime que sé…séduire…ne pense qu’aux grosses f…femmes d’auberges qui ont plein de seins partout ! »
 
Ainsi voilà comment elle le voyait. Evidemment. Comment en aurait-il été autrement ? Il jouait son rôle à la perfection. Trop bien, même.
Malgré tout il déboutonna sa veste avec rudesse, toute envie de rire définitivement disparue.
_ «  Oui il est méchant… » poursuivit-elle, indifférente à ses manières brusques quand il lui retira son gilet également. « Il est méchant, MAIS… » elle leva un doigt sentencieux , très sérieuse soudain, « …il a quand même un joli derrière… »
La barre assombri des sourcils du jeune homme se releva de stupéfaction. Elle qui jusque là n’était que mépris pour son charme …
_ « Un très joli derrière, même… » confirma t-elle, se mettant à rire doucement. Elle divaguait, bien sûr.
Il la recoucha cette fois confortablement, décidé à tout oublier ce qui n’était que délire de boisson.
 
Mais au moment de s’éloigner elle saisit brusquement sa main et la serra avec une étonnante vigueur.
_ « Non ! Restez encore ! N…ne me laissez pas …toute seule…Vous êtes gentil, vous… »
_ « Allons, il faut dormir maintenant. »
Excédé il s’assit à moitié, pensant qu’elle n’allait pas tarder à se calmer, mais elle s’agrippa immédiatement à lui.
_ « Restez un peu…j…j’ai froid. » balbutia t-elle comme déjà gagnée par le sommeil.
Elle avait déposé sa tête contre son torse, ses bras solidement arrimés autour de lui. Elle se collait à lui, et il perçut qu’en effet son corps tremblait.
Il la regarda d’un œil contrarié, bizarrement maladroit soudain.
Ne sachant plus que faire il resta ainsi, surpris bientôt d’écouter avec attention sa respiration qui se calmait, ce poids léger secoué de tremblements.
 
Alors, très doucement, il s’adossa au montant du lit, étendit une de ses jambes mais laissa l’autre au dehors. Aussitôt elle vint se pelotonner plus étroitement, comme apaisée, très vulnérable à l’image de sa voix déjà toute emmitouflée de sommeil.
_ « Vous…vous êtes gentil… » répéta t-elle d’une petite voix, « …et vous aussi, vous avez…un très joli derrière… »
Décidément.
Il soupira, ramena le dessus de lit pour la recouvrir puis, observant un moment ce corps qui se soulevait d’un souffle régulier à présent, il referma ses bras sur elle et se cala plus commodément, lentement bercé par la chaleur nichée tout contre lui. 



 
 
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