6P Designs.Adapted by Rozam

   
 
  18. Jag älska du
 






Chapitre XVIII                                         Jag älska du



Elle était pourtant sûre de l’avoir entendu…vraiment sûre mais…cette douleur dans son corps…atroce, l’empêchant de se concentrer…Et si ce n’était qu’une chimère, si sa prière avait de nouveau résonné dans le vide…si l’ange protecteur auquel son instinct la poussait à croire quand tout semblait perdu l’avait irrémédiablement abandonnée lui aussi, remplacé par un démon se jouant de son imagination…

Au prix d’un effort surhumain Oscar se redressa à demi contre la terre humide, secoua sa tête pour tenter d’éclaircir une vision rendue pénible par l’obscurité et la souffrance, et crut soudain que son Ange ne s’était pas contenté de répondre à son appel mais qu’il s’était incarné, là, devant ses yeux…
Une silhouette quasi fantastique se découpait sous la lumière froide de la lune, tenant en joue ses deux assaillants avinés d’une lame implacable. La voix qui s’éleva n’eut pourtant rien d’angélique, bien qu’elle apparut à la jeune fille tout aussi enveloppante et chaude qu’une aile bienfaisante.
_ « Eh bien Messieurs, c’est ainsi que vous comptiez vous amuser…Très bien ! Amusons-nous alors : déshabillez-vous. »
 
Oscar tout comme les deux hommes crurent avoir mal entendu, l’une des brutes se mit d’ailleurs à rire jaune.
_ « O…oh là Monseigneur, on voulait plaisanter c’est tout ! On savait pas que c’était une femme nous, on croyait au début que c’était un blanc-bec qui jouait les curieux ! On a fait que notre travail. »
_ « Ah oui ? Et violer les intrus en fait également partie, je suppose ? Déshabillez-vous ! »
Les deux hommes échangèrent un regard, plus du tout envie de rire face à l’ordre de cet inconnu aux yeux clairs terribles de calme. Ils tentèrent le tout pour le tout afin d’éviter l’humiliation, sans grand espoir.
_ « M…m…Monseigneur pitié, n…nous ferons tout ce que vous voudrez…ce… »
_ « Fermez-la espèce de porcs!! » s’exclama brusquement Fersen. « En auriez-vous eu, vous, de la pitié en la violant ? Maintenant obéissez ! »
 
Cette fois impossible de transiger avec une épée à quelques centimètres de leurs visages. Ils se dévêtirent jusqu’au dernier bout de tissu, totalement dessoulés par le froid plus que mordant et la honte surtout, les chairs secouées de spasmes. A cet instant l’épée dévia de sa trajectoire, arrêta net le geste qu’ils firent pour tenter de venir réchauffer une parcelle d’anatomie singulièrement racornie soudain.
Fersen s’était approché, animé d’une rage qui les glaça plus que tout.
Le Comte les jaugea avec un incommensurable dégoût bien que sa voix fut toujours aussi redoutablement sereine.
_ « Alors c’est avec ça que vous espérez effrayer les dames, hein… » et il précisa son geste, la pointe de son arme semblant prête à élaguer ces brindilles déjà considérées comme du bois mort. D’une manière si affirmée que les deux brutes craquèrent définitivement, tombèrent à genoux pour implorer grâce.
Le jeune homme les considéra un moment, sachant parfaitement qu’il ne pourrait en tirer la moindre information : trop petit gibier, à qui on ne faisait pas de confidence.
Néanmoins il ne relâcha pas sa garde.
_ « Vous mériteriez que je vous émascule pour l’avoir touchée… » laissa t-il tomber, plus froid que le souffle glacé qui les enveloppait. « Maintenant partez. Mais si jamais je revois vos faciès de pourceaux, je ne me contenterais pas de m’en prendre à votre fierté. Je vous tuerai…Est-ce clair ?! »
 
C’est à peine si Oscar vit les deux formes pâles et dénudées se relever en un borborygme reconnaissant, s’enfuir comme des chiens galeux. Plus rien ne comptait, plus rien n’existait que cette chaleur déjà éprouvée, cette très légère ivresse qui annihila un peu sa douleur quand il fut près d’elle. Il s’était agenouillé, scrutait anxieusement son visage, ses yeux limpides assombris d’une telle tendre inquiétude qu’elle se prit à être heureuse l’espace d’une fulgurance.
_ « Espèce de jeune folle… » murmura t-il en tirant un mouchoir pour étancher le sang de sa lèvre, sa voix si douce, si rauque et intime qu’elle crût entendre des mots d’amour.
Elle se laissa faire.
La souffrance avait ressurgi, trop violente pour qu’elle puisse protester lorsqu’il la prit contre lui et la souleva, comme si elle n’eût rien pesé.
Pour dire vrai elle aurait pu marcher. Difficilement, mais elle aurait pu. Et ne dit rien.
 
Ferma les yeux au contraire pour apprécier un sentiment si puissamment nouveau : se sentir à l’abris dans la citadelle charnelle de ces bras, être protégée, être l’unique, la précieuse de cet homme qui la fascinait par son mystère. Par folie elle avait voulu le fuir ce soir, avait cru que le goût de son propre sang dans sa bouche pourrait effacer la douceur de ses lèvres sur les siennes, la saveur incomparable de son baiser.
Mais fuir était impossible, elle n’en était même plus effrayée. Elle…voulait cela, voulait se sentir faible et sans défense pour la première fois de sa vie, de par la très étrange sensation d’être enfin à sa place au creux de cette épaule, le front perdu dans les chaleurs troublantes de son cou.
Il sentait bon.
Pas comme ces hommes horribles de tout à l’heure, ni tous ceux qu’elle côtoyait à la caserne. Une fragrance ambrée l’enveloppait et la grisait tout à la fois par sa subtilité, mêlée à l’odeur masculine de sa peau qui attisait quantité de choses en elle. Des choses pas du tout désagréables.
 
Malgré l’extrême douleur de son épaule Oscar poussa un soupir, ne chercha pas à se mentir à elle-même : elle était bien…Si bien qu’elle aurait voulu que cette ville soit mille fois plus vaste pour la traverser ainsi dans ses bras, pour sentir son mouvement brusque quand le pas d’une milice résonnait sur le pavé et qu’il la serrait un peu plus contre lui dans un recoin sombre. Pour avoir éternellement les douces aiguilles de sa barbe naissante contre son front au rythme de sa marche prudente, et son cœur, sous sa paume, dont l’épaisseur du manteau assourdissait peut-être la perception mais pas le pouvoir d’apaiser ses sens meurtris.
_ « Oscar, pouvez-vous marcher… »
_ « Mmm… ? »
Oh non, pas déjà…
Ils arrivaient à l’auberge, et même s’il était plus de deux heures du matin estima t-elle il y avait toujours du monde dans la salle. Evidemment, l’apparition d’un homme en portant un autre dans ses bras de cette façon allait soulever des questions difficiles à éluder.
 
Elle se fit violence, frissonna de ne plus se retrouver prisonnière de sa chaleur. Traversa du mieux qu’elle put la taverne pour ne pas éveiller les soupçons car sa faiblesse n’était pas que relative, la souffrance lui martyrisait réellement les tempes. Ce qui ne l’empêcha pas d’exhaler son bonheur de le sentir recueillir à nouveau intimement sa défaillance lorsqu’elle buta contre une des marches. Sa conscience la sermonna un peu : elle l’avait fait exprès ? Et alors…
Tout lui parvenait de manière cotonneuse quand il la tenait ainsi, elle-même se sentait légère comme expurgée d’un poids vieux de plusieurs années.
 
Mais la dure réalité la rattrapa, en fait au moment précis où il la déposa sur la courtepointe un peu froide du lit. Dès cet instant la douleur reprit une vigueur insoutenable, et malgré sa détermination habituelle à ne jamais montrer une quelconque faiblesse « féminine », la jeune fille ne put empêcher ses gémissements de fuser.
_ « Oh Bon Dieu Jarjayes, vous êtes vraiment inconsciente ! Vous auriez pu vous faire tuer ! »
 
L’inquiétude un peu rude de ce ton la tira de sa torpeur, attisa ses anciens réflexes.
_ « J…je ne vous ai rien deman…dé, il me semble. » grimaça t-elle en essayant de se redresser. Elle l’entendit grommeler indistinctement tandis qu’il s’affairait à allumer les chandelles et ranimer le feu dans la cheminée malcommode qui occupait un coin de la chambre.
En effet il y eut beaucoup de fumée pendant un moment, ce qui était vraiment très pratique pour chauffer la pièce quand de l’autre côté il fallut ouvrir en grand et laisser s’engouffrer l’air glacial pour échapper à un début d’asphyxie.
Avec beaucoup d’efforts et de bonne volonté l’atmosphère se radoucit tout de même assez vite, et tranquillisé de ce côté-ci Fersen reporta enfin toute son attention sur son indomptable blessée.
 
Oscar attendait et craignait ce moment. Revoir se poser sur elle la clarté de ce regard la bouleversait, elle se l’avouait très volontiers, la chavirait aussi. Enormément.
Pourtant perdre ainsi le contrôle d’une partie d’elle-même ne lui plaisait pas, elle y voyait un danger sans bien savoir définir lequel si ce n’était qu’il était aussi effrayant qu’intensément délicieux.
Elle choisit de repousser cette faiblesse de même que les mains du jeune homme voulant de nouveau l’aider.
 
_ « Mais bon sang, Oscar ! » protesta Fersen, excédé. « Croyez-vous que je vais vous laisser dans cet état ! Il faut vous soigner, et vous savez très bien que nous ne pouvons faire appel à un docteur ! »
_ « Qu…quoi ?!! Vous n’allez quand même pas me…me… »
_ « Vous examiner ? Mais bien sûr que si voyons, où est le problème ! »
La jeune fille eut un mouvement de recul, sentant une boule se nouer au creux de son estomac et assécher sa gorge déjà douloureuse. Elle s’embrouilla.
_ « M…mais parce ce que v…vous êtes, enfin…je suis…un…une… »
Fersen leva les yeux aux ciel et soupira de lassitude.
_ « Oscar, Oscar…quand donc vous déciderez-vous à être logique avec vous-même. N’avez-vous pas toujours clamé haut et fort être un homme ? Alors quel mal y a-t-il à ce que je vous soigne puisque j’en suis un, moi aussi ! »
_ « M…mais je…non…v… »
_ « Ecoutez ça suffit, ne faites pas l’enfant Oscar ! J’en ai plus qu’assez de vos caprices, alors vous vous taisez et vous me laisser faire ! »
Incapable de trouver une réponse cinglante à cette autorité qui ne lui déplut pas au fond, la jeune fille obtempéra et se laissa débarrasser de sa houppelande, de sa veste, avec beaucoup plus de difficulté tant son épaule la faisait souffrir. Le retrait du gilet fut tout juste consenti.
Mais lorsque ces mains résolues dénouèrent le col et se posèrent sur les premiers boutons de sa chemise ce fut trop. Elle se rebella, fidèle à elle-même.
 
_ « Non ! J…je…je vais le faire ! Tournez-vous. »
_ « Ah, vous n’allez pas recommencez ! » voulut protester le Comte, la voyant chanceler de douleur.
_ « Tournez-vous, vous dis-je ! »
_ « Jarjayes vous êtes vraiment impossible, vous savez… » mâchonna t-il mais se retourna, tout autant pour obéir à cette ravissante insoumise que pour étouffer un sourire. Sourire qui disparut la minute suivante, quand il vit l’ampleur du désastre.
Là il jura, vint s’asseoir tout près d’elle sur le lit, mâchoires crispées de ne pouvoir prendre un peu de sa souffrance à la vue de l’énorme hématome rougeoyant de noir qui courait sur la blancheur de son épaule et une bonne partie de son bras. Sans compter diverses autres marques sur son corps où ces brutes avaient posé leurs salles pattes.
_ « Attendez, je reviens tout de suite… » articula t-il enfin, se précipitant hors de la pièce.
 
Elle se détendit un peu, enfin juste ce que lui permit ses blessures et sa gêne. Il n’avait regardé que son épaule, c’est vrai, pas un battement de paupières n’avait effleuré son buste très étroitement serré.
Un homme…jamais elle ne s’était moins sentit masculine qu’à cet instant. Et le problème c’est qu’elle ne savait vraiment plus si cela lui était désagréable ou non.
Elle écouta les bruits qui agitaient la pièce voisine, ferma les yeux et s’allongea. Hésita à les rouvrir lorsqu’il revint vers elle.
Mais la curiosité fut plus forte que le trouble de voir la clarté de son regard la détailler si fort.
  
_ « Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda t-elle finalement en le voyant muni d’une sorte d’onguent qui sentait extraordinairement mauvais. Il sourit.
_ « Si je vous le disais, je doute fort que vous seriez d’accord pour que je vous en mette. Mais c’est le prix à payer pour votre inconscience ma chère, alors serrez les dents, cela risque d’être douloureux. »
 
Pléonasme, quand elle crut que ses chairs se putréfiaient et tombaient en loques sous le feu de cette mixture abominable ! Malgré toute sa volonté à faire bonne figure elle cria de douleur, sous la sensation horrible qui sembla lui paralyser le côté gauche. De son autre main Oscar empoigna la courtepointe pour résister aux larmes prêtes à jaillir, serra le tissu jusqu’à ce que ses jointures deviennent blanches, déterminée à ne pas craquer, ne montrer aucune faiblesse, être un homme jusqu’au bout, un homme…
Et tout s’arrêta.
La douleur, ce feu dévorant, tout.
Brusquement la sensation pénible s’effaça devant la dextérité d’une main très chaude et incroyablement douce contre sa peau blessée, qui se mouvait selon un rythme étrange, quasi hypnotique, remontant très lentement vers son épaule, faire mine de suspendre son geste et sans cesse recommencer. Sans vouloir lutter elle sentit ses paupières s’alourdir et se fermer avec délice, son souffle se faire profond, sans qu’une once de sommeil ne vienne pourtant la distraire de l’ineffable caresse.
En vérité c’était incroyable. Quelque chose jamais éprouvé jusqu’alors envahissait non plus seulement son bras mais son corps entier, une corps qu’elle n’eut même pas conscience de voir s’éveiller et s’animer peu à peu dès l’instant où une deuxième main tout aussi habile vint prêter assistance à sa compagne.
 
Le mouvement s’amplifiait contre sa peau, et pire résonnait à l’intérieur d’elle-même à présent, ses yeux clos lui laissant « visualiser » des ondes d’énergie courir à travers chaque muscle, chaque fibre de son être, toutes ses terminaisons nerveuses en éveil. Et lorsque le geste se suspendait, lorsque arrivé en haut de son épaule les mains délicieusement brûlantes stoppaient leur progression selon un tempo très précis, ses reins se creusaient, à peine, contre sa volonté mais à sa plus grande joie. De longs soupirs avaient remplacé la souffrance, un plaisir qu’elle ne savait encore nommer jouissance l’envahissait, se prenant à regretter que son corps ne fut pas une plaie ouverte pour qu’il y puisse ainsi verser tant de douce science. Pour venir à la rencontre de ce feu irradiant son ventre, et descendre encore, jusque au cœur de ce brasier pour lui faire subir la torture exquise de ce va-et-vient incessant.
_ « Il me semble que cela va mieux, n’est-ce pas ? »
 
Elle rouvrit les yeux et rougit, moins par la douce acuité du clair regard sur elle que par les pensées indécentes qu’elle se condamna aussitôt d’avoir éprouvé. Pourtant elle le soutint ce regard, y chercha en vain la réponse à l’éternelle question qu’elle ne put s’empêcher de lui poser.
_ « Qui êtes-vous… »
Il sourit à son murmure, de ce léger sourire animant sa fossette et l’éclat très prenant de ses prunelles gris-bleu.
_ « Juste un homme Oscar. Comme vous… »
Elle accepta le tendre sarcasme, justement grâce à la trouble douceur qu’il mettait à prononcer son nom.
Le cerveau embrouillé elle se laissa déchausser, secrètement chavirée de sentir l‘effleurement trop éphémères de ses mains contre ses jambes gainées de blanc. Une part de sa cuirasse avait volé en éclat, elle percevait bien la fragilité qui en découlait désormais, cette résistance qui la protégeait du monde extérieur et de ces vicissitudes émotionnelles.
Un remous inconnu agitait son cœur, et si pour être honnête elle luttait encore un peu contre lui, elle sentit de curieuses certitudes bousculer ses craintes. Une surtout. Qui se concrétisa dans un souffle, à peine plus haut que le crépitements des flammes dans l’âtre.
 
_ « Merci… »
 
Il releva la tête, rencontra l’océan enfin assagi de ses yeux bouleversés.
_ « Merci d’être venu. Si vous n’aviez pas été là ils m’auraient…Ces hommes, ils m’auraient… »
En une seconde il fut près d’elle, reçut sans un mot son désarroi quand elle se jeta à son cou, l’entoura de ses bras quand les sanglots furent impossibles à ne plus pouvoir se contenir.
_ « J’ai eu si peur. » gémit-elle en se serrant encore.
Fersen ferma les yeux pour savourer le cadeau qu’elle consentait à lui offrir, fit voltiger longtemps dans son esprit cet écho fragile, témoin du lien qui se nouait entre eux. Il embrassa la chevelure incomparable, empli ses sens de ce parfum en la berçant contre lui.
_ « Chut Oscar, calmez-vous ; n’y pensez plus… »
Elle s’accrocha davantage, comme quelqu’un qui se noie, désespérée, et il savait bien que c’était de cela dont il s’agissait puisqu’une petite partie d’elle-même se mourrait, cette part de force acharnée à voiler ses failles mais qui à cette seconde se déchirait pour la montrer dans toute son intégrité de femme.
 
Et devenir sans le savoir encore plus forte.
Car à la tenir ainsi le Comte sut immédiatement que le combat venait d’arriver à son terme. En entamant la lutte il se doutait obscurément se mesurer au plus redoutable adversaire qu’il ait jamais eu à affronter, un égal.
Non.
Un être d’exception.
Et il venait de perdre face à lui, définitivement.
Alors il attendit que les soubresauts se fussent calmés, guetta l’inconscience réparatrice conquérir cet adversaire qu’il réchauffait contre son cœur. Et rendit les armes, savoura les mots de sa merveilleuse défaite :
 
_ « Jag älska du, Oscar… » murmura t-il très bas. « Je vous aime, Oscar… »




 
 
  Aujourd'hui sont déjà 20 visiteurs (30 hits) Ici!
 
 
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement