6P Designs.Adapted by Rozam

   
 
  5. De l'importance d'être...
 



Chapitre V.   De l’importance d’être un homard quand on est amoureuse.



Oscar croisa les bras.


Dans tout ce fantastique et infernal enchaînement d’évènements cela pouvait paraître banal, mais il est des instants où chaque geste, chaque variation de physionomie, chaque nuance de regard peut déclancher une réaction en chaîne digne des plus grandes tragédies grecques.
Sauf là.
Oscar croisa les bras et aucune réaction d’aucune sorte ne se déclancha, le tout menaçant de sombrer dans l’inintérêt le plus total. Pour la jeune fille par contre cela conservait tout de même une certaine importance car, d’une part elle était dans la cuisine, et de l’autre Grand-Mère s’y trouvait aussi. Le tout mis ensemble, on devait bien pouvoir en tirer quelque chose. Rajouter quelques petits détails peut-être…Oscar eut une idée de génie : sa botte commença à battre de plus en plus nerveusement le dallage, assortis d’un « Alors ? » propre à glacer le sang de tous les cancres de la Terre pris en flagrant délit de polissonnerie.
 


Mais n’impressionne pas Grand-Mère qui veut.
Même en étant peu fière, pas à son aise, ni vraiment remise, l’aïeule restait pourtant pleinement sûre de la justesse de sa croisade. Après tout, le Général venait de lui faire son premier compliment depuis…depuis jamais, aussi le fait qu’elle ait voulu l’assommer en réponse devenait un détail. Les galanteries s’étiolent au gré des ans comme les feuilles d’automne, un tendre bouquet au seuil de l’hiver ne se refuse donc pas.
Pourtant, la fraîche jeune fille battant sauvagement de la botte n’avait visiblement pas la même conception des saisons, et voir son père muer en quelques minutes de vieux barbon à cette espèce d’entremetteuse sans perruque semblait moyennement lui plaire.
 
- Alors !!
 
Il ne fallait pas se voiler la face : elle détestait. Grand-Mère soupira puissamment : nier ? Feindre la crétinerie caractérisée ? Elle fut très tentée, vraiment, par ce tout dernier exercice de style quand l’arrivée d’une haute et familière silhouette par la porte d’office brisa dans l’œuf ses velléités de comédienne. Dommage…ne pouvoir jouer les andouilles face à Oscar resterait sans doute le plus grand drame de sa vie.
André, mèches et sourire plus indisciplinés que jamais entra pour aussitôt considérer les deux femmes d’un œil critique. Pas besoin d’être grand clerc de notaire pour sentir la tension, palpable, aussi tendue qu’une corde à linge. Les hommes ont toujours de ces prémonitions dans ces cas-là…
 
- Ca sent bon ici, qu’est-ce qu’on mange ?! clama t-il, enthousiaste.
 


Admirable. Le monde s’effondrait et monsieur pensait à son estomac, comme d’habitude ! Sans se concerter deux pairs d’yeux le terrassèrent d’une parfaite synchronisation :
 
- Non mais, où étais-tu encore passé !!
 


Le jeune homme se figea tout à fait, appuya un bout de hanche d’une très agréable nonchalance sur le meuble derrière lui, siffla, puis regarda tour à tour la blonde et l’argentée s’énerver comme des harpies. 
 

- Maudit garnement, toujours à traîner on ne sait où !
- Laisse-le moi Grand-Mère, je vais m’en occuper de ce rustre ! Il va regretter de n’être jamais là quand on a besoin de lui.
- Que faisais-tu, fainéant !
- Tu pourrais au moins répondre plutôt que d’être planté comme un piquet !
- Insolent !
- Mal élevé !
- André !
- André !
 

Un sourcil gauche se leva légèrement, pas impressionné pour deux sous, simplement curieux de constater que la colère féminine le démultipliait. Intéressant. Plutôt que de répondre il fourragea dans la poche de sa veste, extirpa un pli cacheté du sceau royal et le balança sur la table comme on le ferait d’une feuille de salade.
 

- Le Duc de Broglie était ravi de ta décision, Oscar. Il te souhaite un prompt rétablissement et convient qu’un peu de repos te fera le plus grand bien.
 


Oscar se mordit la lèvre : elle avait complètement oublié son pieux mensonge vieux d’à peine quelques heures, demandant en effet au Duc d’être momentanément relevée de ses fonctions par ce même pli, porté par André. Soigner son orgueil demande du temps, de la patience…sans compter quelques menues broutilles ; comme éviter un mariage intempestif, faire enfermer son père, ou trucider son compagnon d’armes. On ne se doute pas de toutes les responsabilités auxquelles une jeune fille de bonne famille se doit de penser.
Oscar se secoua : elle divaguait, davantage encore que son père ! La démence gagnait cette maison, outre le fait qu’un mystère semblait souffler ici et qu’elle percerait bientôt à jour, il ne serait pas dit qu’à son tour elle se laisserait aller au désastre ambiant. Tout d’abord, faire mine d’avoir toujours raison comme tout Jarjayes féminin qui se respecte. L’androgynie a cela de commode que selon d’où souffle le vent vous pouvez choisir votre camp, être à voile et à vapeur pourrait-on dire. Un exercice très délicat qu’Oscar maîtrisait parfaitement.
 
- Et c’est à cette heure-ci que tu rentres ? clama t-elle de toute la hauteur de sa mauvaise foi.
 


André ne dit rien, nonchalant, avant de se redresser soudain et soupirer d’une mine entendue.
 
- Ah ! Très bien mes chères. Vous êtes engagées dans une dispute dont apparemment je ne sais rien, et comme je n’ai aucune envie d’être un souffre-douleur sur qui on se défoule, vous avez mon bonjour mes belles demoiselles.
- Je…je t’interdis de me donner du « demoiselle » ! cria Oscar qui de nouveau avait choisi le clan mâle des Jarjayes. Ton insolence m’exaspère, je ne la supporte plus, je vais te faire payer c…
 


Des coups de heurtoir au loin interrompirent la diatribe, Oscar stoppa net l’élan de Grand-Mère d’aller s’enquérir du visiteur impromptu.
- Ah non Grand-Mère ! Tu en a assez fait pour aujourd’hui me semble t-il, qu’André y aille puisqu’il veut se sauver comme un couard et éviter de m’affronter !
Le jeune homme leva une paupière surprise…et éclata de rire.
- Un couard ?! Tu sais que tu es follement drôle très chère fillette quand tu es à bout de nerfs ?
- QUOI ?!! Retire ça tout de suite !!!
- Quoi donc, « follement drôle » ?
- Faquin, je…
- CESSEZ !!!
 
Le cri de la vieille dame coupa l’amorce d’un sanglant pugilat mais pas l’impatience du visiteur, qui lui s’énervait contre la porte. Elle se portait déjà vers le vestibule qu’André l’arrêta cette fois.
- Laisse Grand-Mère, je vais aller ouvrir en effet. Quand Oscar est d’une telle humeur même l’Enfer est plus agréable.
 

L’insolence triomphante il sortit, souriant aux cris dans son dos preuve que de nouveau il avait fait mouche. Cela devenait décidément trop facile.
Le heurtoir s’agitait fort au-delà de la grande porte, la main d’André fut proche de la poignée, prête à la tourner…
 

- Halte, poussez-vous devant ! C’est pour moi.
 
Le jeune homme n’eut pas le temps de réagir qu’il était écarté sans ménagement par un Général en longue robe de chambre, un improbable linge entortillé sur la tête. Et un sourire d’extase en prime.
 


…EXTASE ???
André faillit partir en compote devant l’image d’une ruine annoncée, cet écroulement de valeurs morales auxquelles tout être vivant ici avait investi le militaire austère. Il est évident qu’un navire prend l’eau dès lors que la proue s’effrite, et le Général eut soudain pour André ce quelque chose de moussu et de verdâtre annonçant le naufrage proche. Le jeune homme ne savait encore comment, ni pourquoi, mais rien qu’à contempler ce turban improvisé terminé en houppette qu’il y vit comme le glas d’une vie aride qu’il ne fut pas sûr de ne pas regretter. La phrase talonnant de près l’envol de la robe acheva de détruire ses derniers espoirs.
 


- Aaaaah, le perruquier !! Il a fait vite le bougre. A peine le fais-je mander qu’il accourt comme un curé pour l’extrême onction. D’ailleurs, n’est-ce pas de cela qu’il s’agit ? A mort les obscurs, les sans grades, que meurent les tristes mines !! A bas le grisâtre et la fade monotonie, coiffons-nous de touffes exubérantes ! André, ne peux-tu enfin cacher ces cheveux de jais et mettre de la couleur dans ta vie ? Que les feux d’artifices éclatent sur nos têtes ! Une étoupe du plus bel effet ? Le blond t’irait à merveille !
- Pardon…articula péniblement le jeune homme, dos au mur et ne pouvant s’échapper d’une telle ignominie. Le Général de bonne humeur était bien la pire chose qu’il ait jamais vue de sa vie…
 
- Allons André, quitte donc tes scrupules ! Comme moi vis, chante, laisse ton cœur se gonfler de reconnaissance devant la merveilleuse palette chromatique qu’offre nos sens ! Des jaunes poussins, des verts lilas, que s’écrase la myrtille et la tendre framboise sur nos carrures ! Fantaisie des jabots, ivresse des culottes de soies ! Que ce Bal soit l’apogée d’une florescence des bouillonnés, des guipures, que chantent les satins coquins !!
- Pardon ??!!
- De la couleur naîtra l’aube d’une vie nouvelle, la mienne, la vôtre, que ce Bal reste dans les mémoires comme la gloire des Jarjayes !!! Et le mariage de ma tendre Oscar l’apothéose dont j’ai toujours rêvé.
- PARDON ?! Un…quoi ?! Un mariage ? Oscar ? MARIEE ?!!
 


La large paluche du Général s’abattit sur la non moins large épaule, l’index de l’autre main se levant comme une sentence invisible.
 


- OUI, MARIEE !! gueula t-il, en ivresse, opinant de la houppette. Qu’ai-je été fou, de n’avoir pas eu cette idée adorable plus tôt ! Mais je suis un autre homme, je suis un père, enfin ! Non plus l’indigne et cruel monstre martyrisant le tendre cœur de cette chère petite, cet ange, ce miracle de beauté !!
- Heu…vous êtes sûr que c’est bien d’Oscar dont vous parlez …
- Cette merveille que ma nature démente n’a jamais comprise, que j’ai brimé par trop d’égoïsme ! TAÎAUT ! Sus à l’austère misère de la condition d’Oscar de Jarjayes, que par ma volonté elle soit le fille que j’ai toujours voulu qu’elle-soit-sans-l’être-tout-en-l’étant-mais-sans-vouloir-l’être !!
- Pardon…
- De la touffe mon ami ! A présent place à la touffe et ses perruquiers, place à la magie capillaire, place à la folie des crânes ! Du blond, du roux, de la mèche vagabonde, voilà ce qu’il nous faut à tous !
 
Durant cette belle envolée le visiteur inconnu avait eu beau tambouriner au-delà de la porte d’entrée, peine perdue. Ce fut sur le dernier mot que le Général consentit à faire les quelques pas nécessaires pour ouvrir à toute volée. Il allait se saisir du loquet mais sa main se porta à sa poitrine, comme sous l’effet d’une douleur vive.
 
« Aïe ! »
 
André s’inquiéta aussitôt, enfin dans la mesure où il pouvait l’être encore après l’avalanche de vision cauchemardesque ; à la place le Général l’écarta pour ouvrir grand cette fois, dévoilant enfin l’importun patientant sur le perron.
 
- Qu’est-ce qu….
 
Les mots s’étranglèrent dans la gorge du maître des lieux, l’œil aussi rond que celui de son vis-à-vis, tous les deux muets, immobiles…
Le monde fit silence. L’air s’arrêta de voleter dans les arbres. Les petits oiseaux étranglèrent leur chant dans leur bec, quelques uns moururent. Tout, tout l’univers entier parut suspendre son fracas lorsque le regard céleste du Général tomba tête la première dans la grise et irrésistible prunelle du Comte Victor-Clément de Girodelle, bouchée bée, les sens en suspend comme en un ralenti sans fin. Les Pôles se rejoignirent. La Lune embrassa le Soleil. L’hémisphère Nord se mit cul par-dessus tête pour se fondre dans l’hémisphère Sud. Et enfin hurler, tous, le seul mot sanctifiant l’irrépressible contemplation, commençant par un…
 
 
 


***
 



- aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaggggggghhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh !!!!!!!
 
Pour la seule et unique fois de l’histoire des Dieux, Vénus, Déesse de Beauté et des Plaisirs, faillit devenir la plus laide des Furies qu’on puisse imaginer. Son cri fut tel que chaque divinité suspendit à la seconde son activité : Neptune éructa quelques bulles du fond des océans, Vulcain se tapa sur les doigts alors qu’il forgeait ses éclairs, Jupiter tomba à la renverse lâchant une nymphe très peu vêtue.
Diane la Chasseresse manqua sa cible (un nympho très peu vêtu aussi), Junon, cachée derrière un buisson à épier son mari Jupiter, tomba à son tour à la renverse, quand Hécate Déesse des Enfers se brûlait les doigts au tisonnier qu’elle était en train d’agiter sur un mécréant.
Toute la céleste population ne put qu’accourir sans attendre vers ce cri, horrible, ne doutant pas un instant qu’une terrible catastrophe venait sans doute de se produire.
On songea à un meurtre : après tout l’immortalité n’était pas une notion bien définie, il se pouvait qu’un dieu mal renseigné se soit laissé aller à mourir par inadvertance.
Ou bien une croustillante affaire de cocufiage ? Mais la chose était devenue tellement courante que c’était le manque de cri qui aurait été douteux.
Inquiets, surpris, ou simplement furieux d’avoir été dérangé en de délicates tâches, tout le monde se massa donc autour de la couche de la ravissante Vénus, en quasi pâmoison malgré les efforts de Cupidon à la ventiler de ses petites mains potelées.
 


- Attend, je connais une meilleure technique…affirma Jupiter en écartant l’angelot, se disant qu’il ne fallait jamais perdre une occasion d’utiliser ce dont la nature l’avait solidement pourvu.
Aussitôt Vulcain s’interposa : s’occuper à forger les tempêtes lui en faisait connaître un rayon, né de la dernière pluie ce n’était certainement pas pour lui ! Et quand un type, fut-ce le Dieu des Dieux lui-même, essayait sous son nez de faire du bouche à bouche à sa femme il était tout de même encore capable de s’en apercevoir.
 

- Ca ira très bien comme ça, merci ! dit-il agressif, allant lui-même estourbir l’oxygène de sa ravissante évanouie de mains larges comme des battoirs.
 

Le traitement dut faire effet, ou Vulcain et son odeur de fauve trop insupportables, toujours est-il que Vénus se reprit très vite en jetant aussitôt un sobre et délicat :
 

- OU EST-CE MÔME, QUE JE L’EGORGE !!!
 


Cupidon n’en menait vraiment pas large, alla se cacher dans les jambes de Diane en lui regardant un petit coup sous la toge tout de même. On n’est pas polisson pour rien.
Calmer une déesse de beauté n’est certes pas facile, il fallut bien plusieurs minutes pour démêler l’écheveau d’explications plus ou moins vaseuses et qu’enfin ressorte l’impensable : parti comme c’était le Général de Jarjayes et Monsieur de Girodelle allaient nous faire des petits.
On s’offusqua, on ricana, on prit des paris même, mais tous bientôt plus ou moins d’accord pour reconnaître qu’il fallait faire quelque chose. Mais quoi ?
 

- La manœuvre d’inversement n’est pas aisé…commenta Mercure. On a déjà essayé avec Adam et Eve et voyez le bordel qu’on a obtenu.
Jupiter fronça ses sourcils : quelque part, sur Terre un orage éclata.
- Mais cela n’a rien à voir, enfin ! Au départ la démarche était classique, un homme, une femme…après pour ce problème de serpent je vous l’ai dit, la zoophilie ce n’est pas mon domaine.
- Jupi ! hurla Junon son épouse. Mais c’est d’un goût ! Tu n’as pas honte de plaisanter avec des sujets aussi graves ?
- Oh làlà…on peut bien faire un brin d’humour de temps en t….
- Ce n’est pas le moment de vous disputer, nous avons un problème puis-je vous le faire remarquer ?
 

Chacun opina à l’observation de Vénus, « problème » était même un euphémisme.
La Déesse, satisfaite d’avoir ramené un peu de silence continua donc ses cogitations.
 


- Il est hors de question que cette Oscar, si difficile, si…masculine de caractère, se retrouve privée de mari ; pour je ne sais quelle raison la décision de son père est prise, il faut œuvrer dans ce sens. Un mariage, soit. Et ce Girodelle était si parfait, si raffiné, intelligent, musclé…membr….
- Moui…coupa Diane, ne se rendant toujours pas compte de ce qui se passait dans ses jambes. Il est beau, d’accord…Mais c’est tout de même une relation de travail, et vous savez dans ces cas-là, ça vous donne plus de soucis qu’autre chose : « Chérie, as-tu pensé à vérifier l’angle de tir des canons du bastion Est ? » « Ah oui ? Et je fais comment avec ton fils qui vient de me vomir son goûter sur le bras ? » Non, non. Girodelle n’était pas l’homme idéal je vous assure.
- Diane, tu n’y connais rien ! Girodelle était parfait j’en suis certaine, mais à présent il faut parer au plus pressé. Trouver quelqu’un à cette Oscar…oh ! et pourquoi pas ce jeune suédois, ce…ah oui ce Fersen ? Par Nous-Même, mais vous avez vu son torse ???!!!!!
 


Un brouhaha exclusivement féminin confirma l’extraordinaire qualité, la suprême intelligence que reconnaît une déesse au premier coup d’œil.
Ce fut Neptune qui déclancha tout. Il souleva une paupière humide d’embruns, et par soucis de contradiction sans doute lança un négligent :
 
- Et pourquoi pas cet André Grandier ?
 
Le babillage cessa aussitôt, l’attention générale focalisée sur ce qui sembla être un coup de tonnerre pire que les colères jupitériennes.
 
On se regarda, et Diane enchaîna d’un subversif :
 
- Mais…il n’est pas noble !
 
Immédiatement, Vénus suivie de quelques Muses proprement scandalisées se porta devant elle, hautaine, croisa les bras sur sa splendide poitrine.
 


- Et puis savoir ce que vous sous-entendez par-là, très chère ? Qu’il n’est pas assez bien pour cette blonde masculin-féminin d’Oscar ? André ? Ce joyau, cette merveille, ce fils, hum…ce beau-fils que j’aurai rêvé d’avoir pour lui apprendre toutes les ficelles du métier de séduction ? Ce…
- Comme s’il avait besoin de ça….ricana Jupiter sans son coin. Les femmes et leur romantisme, ah làlà…
- …ce modèle de beauté, d’intelligence, et un torse, HAAAAAAA, un torse !!! Permettez-moi de vous dire, très chère, qu’avec un torse pareil on peut se permettre de ne pas être noble ! Cela en deviendrait même indécent ! Même ce Fersen à côté est t…
- Dites donc !
 

Vulcain vint son le nez ravissant, qui se plissa. Effectivement il sentait le fauve…
 


- Comment connaissez-vous le torse d’André, vous ? Qu…OH, vous avez encore été jouer les voyeuses à vos moments perdus !! Ne niez pas, vous l’avez épié dans sa chambre avouez-le !
- M….mmmais n…oh et puis flûte, OUI, là, vous êtes content ?
- Et vous vouliez vous le garder pour vous toute seule, la voilà la vérité hein ? Vous rougissez ! Admettez que vous attendiez qu’il soit assez âgé pour vous incarner en quelque soubrette et tester la marchandise !
- Bravo Vulcain, voilà allez-y, faites-moi honte devant tout le monde par votre poésie et votre élégance ! « Tester la marchandise » mais que c’est suprêmement joli, vraiment. Vous êtes un rustre mon pauvre ami, une bête !
- Vous ne vous en êtes pas toujours plainte à ce qu’il me semble, non ?
- Par Moi, cessez cette querelle ! explosa Jupiter.
Quelque part, sur Terre un séisme éclata.
 


Passant outre cette scène de ménage, le prénom aviva bientôt toutes les lèvres. Résonnant comme l’antidote aux maux de ce si fragile organe qu’est le cœur d’une jeune fille.
André…
Les partisans, exclusivement masculins cette fois-ci en firent très vite leur favori contre la populace féminine, un tantinet au bord de la crise de nerf de savoir ce monument de virilité enfin pris dans une histoire d’amour terrestre, c'est-à-dire fidèle. Eut-il été un Dieu, tout de même…qu’il aurait pu venir les honorer de sa présence à l’infini. C’était surtout ce mot « infini » accolé à celui « d’André » qui les rendait vraiment verte de rage. Mais il fallut se rendre à l’évidence, Jupiter en avait décidé ainsi, il fallait s’incliner.
André, la Merveille au torse pas noble, allait trouver une épouse.
Restait à savoir comment là encore.
Fidèle à lui-même, Cupidon sortit enfin de la toge de Diane et se porta volontaire en battant ses petites mimines toutes potelées d’enthousiasme : pas de problème il allait s’occuper de tout ! Un immense « AH NON !!! » le figea lui et ses jolies petites fesses roses, la solution de la flèche d’or boulée à l’unanimité.
 
On ne s’en sortait plus, la solution inextricable…quand de nouveau Neptune lança, en spécialiste maritime qu’il était, une bouteille dans cette marée divine :
 
- Et si notre ami Apollon s’incarnait un moment dans le corps d’André pour faire le « travail » ? Rendre amoureuse Oscar, la…enfin vous voyez. Se rendre irrésistible à ses yeux, qu’elle ne puisse plus vivre ne serait-ce qu’une seconde sans lui. Le mariage découlerait de lui-même…
 
On trouva l’idée excellente.
Chacun s’étonnant juste de ne pas l’avoir eu avant, pour devenir la vedette du jour. André, mué en Dieu de la séduction ? Voilà qui résoudrait tout en effet !
 
- Et pour Girodelle ? observa Vénus, agacée.
 
Bof…on verrait plus tard.
 



***
 



Ce qu’il y a de singulier dans les préparatifs d’un mariage, est ce dénominateur commun touchant absolument tous les cerveaux passant à sa portée, propre à leur faire franchir l’invisible frontière d’une personne à peu près normale à une masse très proche de la gélatine bêtifiante.
Sorte de pièce montée à la crème écoeurante avant l’heure chacun y allait de son regard humide sur la future épousée, écrasait un soupir aussi discret qu’un soufflet de forge et pire souriait, en hochant la tête le plus souvent, accompagné d’un « c’est beau l’amour » déchirant d’originalité. Le tout plongeant l’intéressée dans un état nauséeux avancé, pour ne pas dire permanent, pour ne pas dire éternel.
 
Il n’avait fallut qu’une heure à peine et Oscar avait déjà la désagréable impression que la mort elle-même serait plus douce que ce parterre de créatures étranges portant les noms barbares de « gantiers », « lingères », « corsetières » et autres « perruquiers ». Elle était déjà parvenue à assommer d’un coup de poing une « dentellière » qui s’obstinait à vouloir l’approcher pour des raisons certainement peu recommandables au vu de ce qu’elle tenait à la main, avec un peu de chance elle pourrait éviter la « modiste » qui était bientôt annoncée. Ou la ficeler avec un bout de ses tissus peut-être, quand elle hésitait encore à les lui faire manger.
Et pourtant tout cela n’était pas le pire.
Le pire fut cette phrase, assenée comme un clou sur la croix du supplicié. :
 
- Ma fille ! Dansez de joie, riez, chantez ! Car cela est enfin… : je vous ai trouvé un MARI !!
 
La scène qui avait suivie fut des plus curieuses, assez traumatisante même d’un certain point de vue, celui d’Oscar toujours. Découvrir avec effroi que le MARI !! en question n’était autre que…
Non ! Ce cauchemar, cet impossible, ce mirage destiné à broyer sa raison ne pouvait PAS être…
 
Girodelle !!
 
Son Lieutenant, son propre subordonné, certes Comte, certes homme élégant et raffiné…mais certes foutrecul d’idiot de fiancé ! Jamais ! Résistance ! Révolte ! Révolution ! R…
Pour être tout à fait exact le traumatisme était venu à cet instant. Précisément à cette seconde.
Quand, figée au beau milieu du petit salon, la jeune fille avait soudain perçu les regards enamourés girodelliens posés non sur sa personne mais sur…sur…HORREUR…sur…son père ???!!! Regardant les deux silhouettes masculines, côte à côte, sur le seuil, l’évidence était épouvantablement flagrante : ce n’est pas elle que cet homme regardait mais le Général à ses côtés, avec dévotion suspecte, frit de béatitude, la pupille dévote, l’iris épanouie d’abrutissement, conquise…Et ce père, définitivement fou sans doute, qu’elle ne connaissait plus, d’abaisser un regard douteusement filial en l’enserrant d’un bras puissant.
 
- Que je vous aime mon cher Girodelle…Vous êtes désormais mon favori le savez-vous ? Foin des prétendants à ce Bal, c’est vous, vous, vous que je veux pour fiancé…à ma fille ! Je veux vous la confier entendez-vous, je veux vous la donner pour que s’épanouisse l’amour dans cette demeure, je veux dans mes jambes voir des enfants courir, les vôtres, les nôtres…
- Les miens, père ! tonna Oscar, ne retenant pas le paradoxe à prétendre la propriété d’enfants quand déjà elle souhaitait assassiner tout homme l’approchant d’aussi près que la « dentellière ». Simplement elle se sentait exclue de ce tableau bucolique, et pour d’obscures raisons cela attisait sa rage.
Mais son Général de père ne la vit pas cette droite colère, perdu dans les yeux gris, sur ce mâle visage levé…
 


- Aaaah mon Girodelle, favori de cœur, gendre aimé !! cria t-il soudain en le serrant contre lui d’un sourire béat, le même qui s’épanouit sur les lèvres viriles. Viens, viens dans notre famille car je t’y accueille avec la joie d’un père. Mon fils, mon fils !
Et de l’agiter à droite et à gauche comme un pommier.
- Je t’ai trouvé sur ce perron comme Moïse en son panier d’osier, tu étais nu, je t’ai vêtu de mon affection, je veux à présent te redévêtir !
- QUOI ?!! Père !
Peine perdue, Oscar était devenue invisible…
- Viens cher fils, viens habiller ta mâle stature chez mes meilleurs chemisiers, mes bottiers, mon perruquier qui te créera une touffe digne de ta beauté divine ! Mais suis-je insensé, la joie m’égare : tu n’as nul besoin de cacher ce trésor que les Dieux t’ont octroyé, beau, jusque à la pointe de l’ondulation ! Ta boucle triomphante enveloppe mon âme d’une liesse sans pareille. Viens ! Que se prépare ce Bal où ta victoire sera sûre, pleine et entière ! Qu’éclate aux yeux du monde la supériorité de ton intelligence, ta force tranquille, ta crinière de lion. Tu es mon lion, superbe et généreux ! Viens ! Tendre fils !
 


Et voilà.
Encore et toujours, tout cela promettait d’être beau ce foutoir.
Sourde de toute cette agitation fébrile, immobile, couvant le seuil à présent vide d’un œil azur devenu noir, l’avenir se présentait donc sous les meilleurs auspices : il y allait avoir du meurtre à Jarjayes ça n’allait pas faire un pli.
Furieuse, battant de sa botte l’innocence des tapis, Oscar se dirigea vers le grand escalier se disant qu’il fallait absolument qu’elle trouve un défouloir.
André.
 


Trouver quelqu’un d’un peu plus vaillant qu’une gélatine, trouver quelqu’un d’un peu moins parfumé que la modiste, en un mot trouver quelqu’un qui la détestât cordialement lui devenait nécessaire. Mais tout d’abord se débarrasser de cette stupide veste d’uniforme comprimant sa colère, qu’elle souhaitait apocalyptique. Il y allait de son honneur. On la voulait femme, on la voulait mariée ? Et bien elle allait montrer quel homme elle était !
Sur le chemin de ses appartements Oscar tournait à un angle du couloir, quand brusquement son poignet fut durement saisi, tiré, bousculé, son corps entier littéralement catapulté contre un autre, le tout finissant dans un endroit sombre et une porte claquée en conclusion. La pénombre légèrement rance la renseigna être dans un des placards où Grand-Mère rangeait ses balais et autres instruments de torture de poussière, plaquée contre le mur avec sur elle une masse vivante et imposante, l’enserrant étroitement. A la priver définitivement de souffle et pour cause : une carrure d’homme, autrement plus virile qu’elle.
 


L’attaque avait été si vive qu’une pensée totalement irrationnelle se fraya accès à son cerveau étourdi. Un souvenir plutôt. La vision d’une planche de science naturelle, que son précepteur lui avait détaillé.
Le Homard.
Cette créature extraordinaire qui, durant sa croissance, perd un moment sa carapace pour s’en créer une autre infiniment plus solide, devant rester involontairement sans cuirasse face aux dangers des prédateurs de toutes sortes, plus fragile qu’un nouveau-né.


Et à cette seconde la jeune militaire ne se sentit effectivement plus de protection, ni armure, comme un jeune homard oui. Et toute aussi rougissante. Démunie face au poitrail heurtant son propre souffle, à une poigne plus forte que le fer de sa volonté, à une voix surtout dont elle ne vit rien, profonde et basse de tiédeur, toute proche de la commissure de ses lèvres pour juste y poser ces mots sans appel :
 
 
- Fillette, nous devons parler tous les deux. 





 
 
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