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  11. Pièce montée et...
 



Chapitre XI
.     Pièce montée et Pain d’épices.
 
 
 


Très vite on sut que cela ne pourrait durer.

Le flot des invités s’écoulait comme sable gracieux depuis déjà une heure, et chacun fut tout à fait sûr que c’était trop beau, cette grâce, que selon l’expression de Jeannot le petit marmiton : « y’allait avoir une peau de couille dans pas longtemps ».
Selon le rang on le formula autrement mais le résultat fut le même, les vastes portes du Domaine Jarjayes reçurent une cohue sans précédent. En vérité ça bouchonna ferme, des cohortes de masques piétinèrent bientôt les pelouses et les allées jusqu’à jeter Grand-Mère et sa louche au dehors pour établir un périmètre de sécurité autour de sa roseraie.
Avec horreur elle découvrit d’ailleurs qu’on en avait décapité quelques unes, le premier innocent déguisé à sa portée paya pour tous les autres.
Hormis ce petit incident, personne ne protesta sous la longue file d’attente qui s’étira car l’essentiel était d’entrer, fut-ce le lendemain, quand tout serait fini.

On ne savait trop quoi allait se passer pour dire vrai, la nouvelle d’une fête masquée à Jarjayes s’était répandue par une curieuse alchimie vers à peu près toutes les oreilles des courtisans connus ; il était vaguement question d’un Bal des prétendants. Cela ressemblait si fort à un conte pour enfants, cette pauvre petite Cendrillon ou Peau d’Ane par exemple, qu’on crut à une mauvaise plaisanterie.
Le marmiton Jeannot avait bien son avis sur le sujet mais personne ne le lui demanda.

Toujours est-il qu’au bout d’un certain temps ce ne fut plus possible, il fallut s’organiser. Non pas qu’on dût renvoyer du monde non, ils seraient de toute façon passés par les fenêtres, mais la bassesse humaine prit vite le dessus comme souvent dans ce genre de circonstance : on poussa, on s’injuria, la délation fit rage, en bref une partie de la queue s’effondra à la grande joie de ceux de derrière qui se mirent à leur courir dessus pour gagner un place.

Bien loin de s’offenser le Général de Jarjayes exulta, fin stratège face à ce théâtre mouvant illustrant l’apogée de sa réussite il s’improvisa sans attendre Maître de Cérémonie sur le seuil de la Grande Salle. Un peu plus tôt il s’était rendu à la cuisine pour soigner un mal de crâne absolument dantesque, et avait trouvé les nouveaux gâteaux au chocolat de Grand-Mère vraiment par trop tentants.
Faisant fi de toute prudence il en avait volé un, et depuis se sentait si bien qu’il allait sommer l’aïeule de les mettre à tous les repas désormais. Il paraissait voguer sur un nuage, à forte tendance rose, même s’il gardait toute sa vigueur militaire pour discipliner les fêtards.

Le thème de la Nature avait été choisi, pourtant, ou certainement à cause du peu de temps de préparation, force fut de constater qu’un vaste n’importe quoi souffla dans la ramure : on refusa trois Eve vêtues uniquement d’une pomme, deux Adam affichant une absence de feuille de vigne flagrante, sans compter les costumes dont personne, jamais, ne parvint à définir la classification.
Mais bien entendu tout le monde se trouva superbe, et un début de révolte naquit quand le Général s’entêta à chasser ces mal élevés, ou plutôt ces mal vêtus : pour sa Perle d’Arras tout devait être parfait ! Elle était bien trop prude sa jeune colombe, tel un cristal fragile et rare à se briser devant de telles réalités morphologiques.

Aussi impitoyable que Dieu lui-même le Général écarta donc ces dépravés, revint aux grandes heures de sa carrière militaire et gueula comme si le Duc d’Aulney, son aide de camp, attendait ses ordres pour déclancher la guerre. La première brassée d’invités reçut tout en pleine face.

- Hors de ma vue espèces de vils culs nus ! Débauchés, sans culotte, mais où vous croyez-vous ?! Vous espériez quoi, faire la loi ici ? La révolution ? Vous payer ma tête peut-être, ha ! Cette jeunesse est d’un vulgaire, toute à finir à la Bastille. Et ne vous avisez pas de jouer les finauds en dévastant mes buissons : ce n’est pas avec deux trois brins de lierre plantés dans le fondement comme des plumes d’autruche que vous habillerez votre crétinerie !!

Puis l’œil aussi aiguisé qu’un rapace visa le parterre à ses pieds.
- Et vous que regardez vous ? Croyez-vous que je ne vous ai pas vu pousser tout à l’heure ? Ecrasant brodequins et babouches tout sourire réjoui ? Echarpant un œil, un bras ? « Les premiers seront les derniers !! » tonna t-il soudain. Alors oui Nous allons organiser cette pagaille : les Fleurs, bordel de Dieu, les Fleurs d’un côté et les Oiseaux, de l’autre ! Rentrez par groupe d’animaux pour commencer, cet endroit n’est pas une bétaillère aussi je ne tolèrerai aucun débordement !!


Malgré la terreur on sut que la Fête allait enfin commencer…


L’instant de flottement du à ces cris bravaches s’effaça devant les splendeurs offertes : brusquement Versailles s’en trouva ternie telle la flamme d’une chandelle tombée des mains d’un enfant.
Jarjayes était morte, vive Jarjayes !
La demeure ancienne et austère n’était plus ; à la place une outrance toute de marbre et de dorures, bien proche cependant de faire penser à l’entassement d’un quelconque pharaon ayant peur de manquer dans l’au-delà. Les soieries, la musique explosaient avec une dévotion touchante et échevelée pour célébrer ce seul mot, ce nom, ce titre : Jarjayes, le Grand !
Très légèrement inquiétante aussi, les masques et costumes aidant il y avait comme un petit air de bordel de Palais-Royal que ne manquèrent pas de souligner quelques mauvais chrétiens. Mais eux-mêmes n’étant pas foncièrement vêtus comme à la messe, ce fut un murmure qui se tut pour mieux se lancer dans de folles sarabandes.


Toutes les portes-fenêtres bayaient de chaleur, et l’air était si doux pourtant qu’on ne se serait guère étonné se voir transporté dans ces contrées d’Ispahan aux lourds parfums de roses, grisant les esprits autant que les corps. Certaines demoiselles ne savaient d’ailleurs plus très bien au bout de quelques pas, si c’était normal d’être tenues par un nombre impair de mains.
Les rires lançaient leurs éclats chamarrés au rythme de la danse, les yeux se faisaient brillant, bien moins que les joues, et l’on goûtait à des mets si exquis pour reprendre son souffle.
Des Cornes d’Abondance déversaient de suaves arômes, faits de calissons craquant, des dattes aux pâtes d’amande multicolores, des fruits rares et exotiques ou tous simples, telles les pommes d’amour plus rouge qu’un rubis sanglant. Et la Valse, ah la Valse ! Un, deux…trois, animant la Grand Salle de savants tourbillons délicieusement bancales, le rythme ternaire propice à tout amusement.

Les vins galvanisaient les jarrets, les bras se nouaient comme du lierre autour des partenaires, la joie sauvage et tendre de la Bacchanale pulsait les sangs.
Et Jarjayes contemplait son œuvre, le sourire affûté.
L’annonce du mariage serait l’apothéose de ce jour unique.

Tout à ses pensées idylliques il ne remarqua pas le petit angelot, fort joli mais fesses à l’air qui fila soudain vers le jardin…


****




- Bien, cela s’améliore enfin, soupira Vénus avec un rien d’agacement.

Certes elle était parfaitement satisfaite de la tournure des derniers évènements mais l’exclamation de ce Girodelle, tantôt, ne l’avait pas remplie de bonheur : « Par le con de Vénus… »
Elle détestait ce juron.

- Non mais c’est d’un goût ! fulmina t-elle, giflant un bout de nuage qui se désagrégea docilement. Ces hommes n’ont donc aucune élégance ! Et si moi je me mettais à dire « Par la bi… »
- Et bien, et bien ! Voilà qui est joli à entendre de la part d’une Déesse.

Vénus devint d’une pâleur de statue sous l’exclamation du plus tendre velours de voix qu’on puisse imaginer.
Lentement, très lentement elle finit par se retourner, les yeux démesurément ouverts sur une vision d’horreur pouvait-on croire.
Ce n’est certes pas ce qu’aurait pensé toute autre femme, quand s’approcha un être si extraordinairement beau qu’un seul de ses sourires pouvait vous réduire en cendres d’extase. Quintessence de perfection masculine porté à son point le plus extrême, ce personnage fut pourtant considéré tel un Diable hideux, ce qui l’amusa grandement.

- Ma chère Vénus, je ne te savais pas donner dans le propos vulgaire. Vulcain, ton mari, commencerait-il à déteindre sur toi ? Je te préconise un changement d’environnement des plus hâtifs, de nouveaux horizons…Que dirais-tu de commencer par ceux de mes bras ? Ils offrent des paysages fort intéressants, je suis sûr que ton langage y prendrait une toute autre tournure…

La belle déesse ouvrit la bouche, ne rougit pas car l’idée fut loin de lui déplaire, incapable malgré tout de réaliser ce qu’elle voyait : Apollon en personne se tenait là, observateur irrésistible de sa stupéfaction.
Son esprit défaillait, elle ne comprenait plus, avait peur de comprendre plutôt, impossible…
Tour à tour elle observa la Terre et ce domaine Jarjayes objet de toutes ses attentions, et cet homme, ce Dieu…

- Que…mais que…tu n’es pas dans…chez…André…
- Ah, André Grandier c’est cela ? Oui, Jupiter m’en a parlé, je n’ai pas clairement compris : je dois l’aider à ce qu’il semble, m’incarner dans son corps pour séduire je ne sais qui…J’étais occupé sur une autre affaire que je viens juste de…conclure avec succès, je venais donc te voir pour savoir le fin mot de tout ceci. Quand dois-je commencer auprès de cet André ?
- Mais…mais…tu veux dire que…ce n’était pas toi, c’était LUI tout ce temps ?!!!!
- Lui qui…
- André bon sang ! C’était lui et pas toi ?!!
- Tu es sûre d’aller bien ma petite Vénus…
- Je ne suis pas ta « petite » ! Quelle est donc encore cette folie, comment une telle méprise est possible ! QUI est dans le corps d’André en ce moment si ce n’est toi !
- Et pourquoi veux-tu qu’il y ait quelqu’un ? Je ne comprends pas un traître mot à cette histoire. Explique-moi.
- T’expliquer ! Il est bien temps de t’expliquer quand nous courrons tous à la catastrophe : Cupidon est parti te parler, en Bas !!
- En Bas…quoi, sur Terre ? Mais cela est formellement interdit.
- Eh, je le sais bien ! Il fallait qu’il te…qu’il prévienne André c’est-à-dire toi, pour te ramener à l’ordre face à cette maudite Oscar.
- Ah, voilà. Oscar…C’est ce nom je m’en souviens à présent. Bien la première fois que je dois séduire un homme…quel métier, ah vraiment.
- Idiot, Oscar est une femme voyons ! Au lieu de toujours te préoccuper d’entrer ou de sortir d’un lit tu pourrais un peu te tenir au courant. Qu’allons-nous faire, à présent ?
- Rien.
- Comment ça « Rien » !
- Non, rien.

Apollon s’approcha et capta la taille fine qui voulut se soustraire pour la forme, peu longue à se faire souple entre des mains si savantes. Le velours de la voix enveloppa le cou de cette victime plus que consentante.

- Non, rien, répéta le Dieu, dangereusement tendre. Pour une fois laissons les humains se débrouiller seuls. Ils en sont capables ne crois-tu pas ?
- N…non, ils sont si…si…enfantins…soupira Vénus s’offrant aux baisers aériens. Et Cupidon, que va-t-il devenir ?
- Ne te fais aucun souci pour lui…grommela la mâle divinité en faisant glisser la toge des ravissantes épaules. Ce petit ange est si habile qu’il n’aura aucune difficulté à rendre la situation pire qu’elle n’est déjà.
- Mais...
La protestation s’étouffa sous la vapeur tiède d’un souffle, le long de son ventre…
- Tais-toi : pour ma part j’adore cette expression, « par le con de Vénus »…
- OH, APOLLON !!!


****



C’était décidé, ce serait pour ce soir. Personne ne pourrait la faire plier désormais, aucune force terrestre ou surnaturelle n’était assez puissante face à la rage bouillonnant son sang, l’esprit plus impitoyable que ne le serait jamais son épée.

- Oh ma petite chérie, que tu es belle si tu savais ! Que tu es belle…

Cela, c’était sa dernière faiblesse, la toute dernière avant la grande Catastrophe. Elle ne savait trop pourquoi mais devant les yeux myosotis son cœur avait un tout petit peu fondu. Cœur de chocolat, pfeu…Ce n’était qu’une question de temps, son cœur redeviendrait canon, son corps une artillerie lourde, sa parole une puissance de feu sans précédent ! Mais en attendant, elle avait cédé. Un tout petit peu femme, juste un tout petit peu.

Un tout petit peu énormément pour Grand-Mère apparemment, qui en pleurait littéralement de bonheur au beau milieu de cette chambre.

- Ma chère petite, tu es plus belle qu’un ange, mon Dieu !

Quel mot horrible…Ce concept à plumes, stupide, l’exact contraire de ses plans secrets machiavéliques et démoniaques ! Un ange, quelle foutrerie ! Y avait-il seulement quelque chose d’angélique dans tout cela ?!

Oscar avança, la mine des jours terribles, jusqu’à la glace en pied d’inspiration vénitienne mise là par cet énervé de décorateur. Ce miroir, il faudra bien penser à le jeter par la fenêtre quand ce serait fait, tout à l’heure. Le Plan arrivé à son terme il sera doux de tout casser ici, effacer définitivement ce délire illusoire qu’existe jamais une « Mademoiselle » de Jarjayes.
La jeune fille, puisque telle était sa nature à cet instant précis, s’examina sans aménité aucune: une chose blonde ridicule, voilà ce qu’elle vit.
Eut-elle les yeux d’un homme véritable qu’elle se serait attardée sur le visage rendu plus délicat sous l’éclat farouche de l’œil, les lèvres pleines d’une sève ingénue, le cou trop gracieux pour se voir étouffer par un col d’officier. Et la taille, prise dans ce corset que toute main rêverait de dénouer…
Une robe blanche, très simple, débarrassée d’une folie de rubans par Grand-Mère, et Oscar se sentait stupide.
Un ange, nom de Dieu !

Elle tourna brutalement le dos à cette vision de cauchemar, fit sortir l’aïeule malgré ses protestations, puis dès la porte fermée plongea les mains dans sa chevelure pour en détruire le lent travail de discipline. Un ange passe encore mais ressembler à une perruche, jamais !! Une lionne, fougueuse et tranchante, les griffes prêtes à lacérer l’existence voilà ce qu’elle était. Elle secoua la tête, s’ébroua de joie sauvage en sentant ses cheveux s’éparpiller dans son dos.
Voilà. Elle était prête.
Maintenant, on allait voir.


****



Réputé pour sa grande gourmandise, André faillit tomber dans son fruit préféré : les pommes.

A l’écoute des sons barbares faisant trembler les murs du domaine Jarjayes, point n’était besoin d’être devin pour se douter de l’aspect quelque peu débridé de la Fête. Mais franchissant le seuil de la Salle de bal André sut que ses inquiétudes étaient largement dépassées : tout cela à cause de Jarjayes lui-même, qui n’était plus qu’un souvenir flou perdu dans les recoins de son enfance. Le Général hier était une noblesse, et surtout une sévérité rance à toute épreuve. Aujourd’hui c’était, heu…eheuuu ?
André plissa les yeux, même si sa vue était excellente : le Général, aujourd’hui, c’était… QUOI ? La question à deux Louis, le jeu du jour tout frais pondu, le qui-perd-gagne-que-si-tu-trouves-t’as-droit-à-la-main-de-ma-sœur, bref la chose à classer d’office dans la rubrique des faits divers ou parmi les mystères ésotériques.
Tout d’abord, sans doute possible, il y avait une perruque. Différente de celle de l’après-midi mais tout aussi…présente quand à l’intensité de la couleur. Par contre la couleur, question subsidiaire… :

a/ touffe d’épi
b/ mousse d’huître
c/ robe de moine en mérinos des Alpes
d/ ne se prononce pas

André opta prudemment pour la dernière réponse mais réflexion faite, mûre réflexion, son sens de l’observation trancha net : finalement le Général de Jarjayes avait un petit quelque chose de jaune. D’énormément jaune même. Mousseux, bouclé…un mouton ? Mais ce jaune….
Le jeune homme apprit beaucoup plus tard que ce costume était sensé incarner l’astre roi, le Soleil lui-même, Enchanteur par qui tout existe. L’habileté du tailleur et du perruquier fut telle que plus tard, beaucoup plus tard, chacun fut prêt à jurer sur la tête de ses petits-enfants avoir vu un énorme poussin doré pousser la gueulante durant toute cette soirée mémorable. Mémorable…elle allait l’être, assurément. Mais André ne le savait pas encore.

Il s’avança donc, considérant sans mal cette marée humaine grâce à sa haute taille, et remarqua aussitôt l’évidence. Oscar brillait par son absence. Il était trop tôt, sans doute. Pourtant la Valse battait son plein et lui sentait ses bras le démanger. La toiser, la prendre contre lui non sans l’avoir provoquée de deux-trois « fillettes », et s’étourdir de la charmante fureur de son corps gracile, pris tous deux dans ce tourbillon infernal…Oscar, l’Enfer à elle toute seule oui, et par Dieu qu’il avait hâte d’y rôtir ! Quelque chose allait se passer ce soir, il le sentait, et…
Ce fut surtout une vague avinée qui lui parvint.

- T’es déguisé en quoi, toi !

Se retournant, André se trouva nez à nez avec un chien.

Enfin un homme déguisé en chien, museau et nœud de satin compris, le tout branlant de côté par la prise excessive d’alcools en tous genres. Si le chien en règle générale est le meilleur ami de l’homme celui-là faisait exception par un ton assez agressif, et un œil pas vraiment fraternel pour détailler la silhouette presque de haut en bas.
Agacé, André voulut l’écarter mais on insista.

- J’t’ai posé une question, t’es sourd ? C’est quoi ton déguisement !
- Qu’est-ce que cela peut bien vous faire, grogna le jeune homme en continuant de guetter la grande porte.
- Ca m’fait…ça m’fait que ma donzelle arrête pas de te regarder, et que ça m’gêne, voilà ! T’es habillé et on dirait qu’pour elle t’es tout nu, et moi ça m’plaît pas. Alors, maraud, j’vais t’provoquer en duel sanglant, viens, on va s’étriper dans l’jardin. Mais avant, j’veux savoir en quoi qu’t’es déguisé !
- Allez vous-en, vous êtes ivre.
- Quoi ? Quoi ? J’suis pas iv’ moi, j’suis un caniche ! Et toi t’es quoi, j’veux savoir, tout d’suite !

André sentit la moutarde lui monter au nez, précisément parce qu’il était déguisé en lui-même. Une veste sombre, une chemise à large col et ses culottes habituelles, assorties de souliers à boucles, admirable de sobriété dans le dévergondage ambiant. Et les yeux verts de plus en plus orageux sous les jappements du caniche. L’envie de lui gratter la puce fut grande…
Il n’eut aucun mal à repérer la dite donzelle un peu plus loin, effectivement toute absorbée par sa contemplation peu catholique sur sa personne. Aussitôt elle lui envoya une œillade, ou plutôt un œillet, qui parsemait son corps entier.
Il ne devait pas être le premier à bénéficier de cette faveur, car le costume connaissait quelques manques douteux de-ci de-là, la fureur du caniche se comprenait mieux sous la visible inconstance de sa dame. Apparemment elle n'aimait pas les chiens.

- Viens, dans l’jardin qu’on s’explique ! J’vois bien qu’tu la trouves à ton goût ma donzelle, j’ai l’nez pour ça…
- La truffe.
- Quoi ?!!
- Oh mais assez, je me fiche de votre donzelle comme de ma première chemise ! Vous devriez la surveiller avant qu’elle ne se transforme en marguerite sans plus aucun pétale à envoyer.
- Mais tu dis quoi, toi ! J’comprends rien, et j’sais toujours pas en quoi t’es déguisé !
- En chandelier, là, ça vous va ?
- Quoi ? Quoi ? Aaaaah une sorte de lustre !
- Exactement. Je suis là pour éclairer les invités, mission très difficile et totalement dangereuse : si on m’approche je brûle.

L’homme ivre le considéra soudain avec une certaine crainte, le balaya de ses yeux vaseux. Il s’écarta aussitôt.

- Eh, oh, pas de blague, j’disais ça pour rire pour l’explication dans l’jardin ! Ma donzelle el’ m’dit toujours : « avec tout ce que tu bois, un jour tu vas prendre feu si tu t’approches trop de la cheminée ! » Et toi t’es comme qui dirait un’ cheminée, c’est ça ?
- C’est ça.
L’ivrogne recula sous le pas d’André, très décidé à prouver son pouvoir inflammable.
- Ouais bah, si on peut plus s’amuser…gémit l’énergumène pour donner le change et battant retraite, entraînant au passage sa demoiselle qui se démancha le cou pour continuer à l’observer.

Le jeune homme soupira, vraiment excédé. Sans vanité aucune il pouvait avoir n’importe quelle Fleur ou Oiselle ici, et la seule qu’il espérait n’était pas là. Peut-être devrait-il monter à sa chambre pour voir si tout allait bien…
En quoi allait-elle être déguisée ? Mmmh, en rien du tout…en nymphe, en sauvage, en reine, en cheval, en…

- Mes amis !!

La musique se tut immédiatement, les danseurs figés dans une dernière ronde.

Le Général se tenait fièrement avec à ses côtés, par contraste, le très élégant Monsieur de Girodelle. Ce dernier était également déguisé en lui-même, preuve qu’un gentilhomme, un vrai, sait garder sa dignité jusqu’en pleine débandade. Ce qui en disait long sur celle du Général…
Peu importait car Victor-Clément n’avait d’yeux que pour lui, ce poussin magnifique qui imposait le silence de sa voix des tranchées de guerre.

- Mes amis !! Nous voilà tous ici réunis pour la plus belle, la plus douce des raisons : dans très peu de temps une nouvelle particulièrement merveilleuse, et dois-je le dire si émouvante, emplira cette vénérable demeure. Jusque là j’ai toujours voulu faire montre de la plus parfaite rigueur quand à l’éducation de ma progéniture, et ce n’est pas sans fierté que je contemple aujourd’hui le résultat de tant d’efforts et de soins.
Tel le capitaine de vaisseau arrivant à bon port je me sens l’âme sereine, bercé par le sentiment du devoir enfin accompli. Même s’il me reste encore une dernière tâche avant de prétendre à un repos familial bien mérité.
Qui pourrait seul se résumer en ce nom aimée : Oscar ! Fleur de ma vie, douceur de mes vieux jours, que chante désormais ta véritable nature magnifiée par ce soir de Bal ! Qu’entrent dans ta destinée la sécurité affective et les tendres émois que j’ai, à ma grande honte, toujours écartés de toi. Mais que cesse désormais ma frilosité décatie ! Je suis heureux, mes amis, de vous ann…

- Dites donc ! Une petite minute.


Les invités tournèrent la tête avec ce bel ensemble digne d’une partie de jeu de paume, quand la balle rebondit de manière impromptue.
Le joueur en question n’avait point de raquette mais un habit des plus civils, preuve que le déguisé-en-soi-même avait la cote ce soir.
Main sur le pommeau de son épée, Monsieur de Fersen considéra le couple masculin d’un œil passablement mauvais. Il s’avança d’une mâle assurance.

- Dites-moi Général de Jarjayes, n’allez-vous pas un peu vite en besogne ?

Une rumeur sourde agita les spectateurs, d’où émergea un vague « Tiens, ben voilà : là ça commence à sentir le pâté » rapidement suivi de quelques « Mais ta gueule Jeannot, tu vas tout nous faire louper ! » venus du fin fond de la Salle.
Les principaux acteurs de ce drame naissant n’entendirent rien bien sûr, Fersen tout à sa marche héroïque face à Girodelle et le Général, pareillement surpris. Le Comte suédois croisa les bras devant eux.

- Pourrions-nous savoir où est l’objet de vos attentions, Général ? Vous parlez bonheur et joie affective mais l’intéressée, votre douce Oscar, qu’en pense t-elle ?
- Il a raison ! clama soudain André.

Les invités tournèrent le cou : balle neuve, deuxième service.

- Il me semble en effet que la plus élémentaire des politesses seraient de l’entendre sur le sujet.
- Absolument ! approuva Fersen, tout émoustillé par ce soutien inattendu. Et je trouve particulièrement douteux la présence de Monsieur de Girodelle à vos côtés : les dés seraient-ils pipés ?

« Des dés maintenant, hop là ça va partir en cou… » fut muselé au loin par des « chuuuuut » intempestifs.
L’étonnement atteint son comble sous l’initiative de l’interpellé, le dénommé Girodelle qui contre toute attente vint se poster à son tour près d’André.

- Ils ont raison Monsieur de Jarjayes, soupira t-il. Vous ne pouvez décemment annoncer quoi que ce soit hors la présence d’Oscar ; en tout cas personnellement je m’y refuse…

Les murmures se firent plus denses, André et Fersen tout aussi éberlués que l’ensemble des convives ; bien moins que le Général de Jarjayes cependant, qui fait exceptionnel ouvrit la bouche…et ne trouva rien à dire.

- Que…mais que…comment…

Si, quelques borborygmes tout de même. Et quelques geignements :
- Mmmmais…mon Girodelle, cher fils ! Que voulez-vous dire, je…ne comprends plus, je…

- Tout ceci est pourtant clair! clama une voix belliqueuse.

Balle au centre. Le public, docile, suivit avec avidité.


Dans l’encadrement des doubles portes de la Salle, éclairée par la fantasmagorie des chandelles se dressait Oscar, concentré d’éclairs et de tempête bleutés.
Elle était magnifique dans sa robe neigeuse mais la sauvagerie de la mine contrastait si fort avec la délicatesse de la mise, que « beauté » ne pouvait s’imposer à l’esprit. Elle hissait cette notion si loin qu’elle en devenait insoutenable aux regards, l’auréole de ses cheveux un écrin diabolique et chatoyant. Mince, telle une lame dont le fil tranchait le souffle, sans autre artifice sinon la rougeur de ses joues habillées de fureur, elle resplendissait d’une aura sourde. Son pas claqua dans un silence quasi-total.

Les trois hommes, son père, s’étaient tournés et ne pouvaient qu’être muets devant cette force fragile prête à tout dévaster. La silhouette était frêle, mais la volonté immense.
Elle les foudroya tous de son rire.

- Mariage !! Ha la belle fable ! Vous étiez donc seul à y croire, Père ? Avez-vous réellement imaginé que je serais ce fils soumis par la grâce de votre bon plaisir ? Je suis Oscar, Père, je suis Oscar de Jarjayes, contemplez ce que je suis !

Et d’un geste péremptoire elle arracha la robe de ses épaules, de son corps. Un « Oh ! » unanime explosa en voyant le pantalon militaire en dessous, étau immaculé épousant si intimement le galbe des hanches étroites et des jambes, racées.
Mais surtout le buste, juste enserré par ces bandes accusatrices de la folie d’un père. Plus féminine dans ce dénuement que n’importe quelle femme présente, et féroce par tous les dieux, oui plus féroce que tous les muscles virils de ses compagnons pourtant si généreusement pourvus.
Girodelle, Fersen, André tombèrent tête la première dans la contemplation de ces quelques centimètres carré de grâce inviolée, s’égarèrent vers le ventre, musèrent autour de la taille, s’affalèrent langoureusement sur les épaules, tous trois pétrifiés par le grain de peau que chantait la lumière des flammes dansantes.

Nullement gênée, brave au contraire comme un cadet de Gascogne, Oscar vissa ses poings sur ses hanches et leva le nez, superbe.

- Vous voyez Père ? Voyez-vous, tous ? harangua t-elle. C’est cela que vous alliez offrir à un mari ? Un être qui ment, qui depuis l’enfance doit ruser sur ce qu’il est sans pourtant jamais se trahir, car au fond si fier de ce qui le constitue. Libre, libre je veux être Père, libre je suis ! Même étouffée par votre loi hier, vos élucubrations aujourd’hui, LIBRE ! Et vous messieurs…

Force fut de revenir aux yeux, quand bon sang ce buste était accueillant à un point…Girodelle déglutit en voyant ce dernier venir devant lui. Il n’osa prendre le risque de garder un tel poste d’observation, et fut empoigné sans transition par la hargne azurée.

- Monsieur de Girodelle, je ne peux que saluer votre galanterie dans cette affaire mais les raisons en sont si humiliantes que j’hésite encore à vous provoquer de nouveau en duel ! J’essaierai d’oublier ces révélations à la seule condition de renoncer à vos penchants coupables. Promettez !!
- Qu…oi ? balbutia le Lieutenant, tout rose de se voir démasqué devant cette foule plus qu’attentive, qui en vérité n’y comprenait rien du tout. Il s’empêtra.
- Oscar, je ne…
- Capitaine ! Capitaine, Monsieur de Girodelle, je suis votre supérieur jusqu’à preuve du contraire. Promettez !
- Mais comment faire, je vous ai dit qu’on ne pouvait maîtriser les élans de son cœur et s…
- N’allez pas plus loin, je ne veux rien entendre ! Cette…horreur ne franchira jamais les grilles de Jarjayes, promettez !!

Porté par une brusque solidarité masculine, Fersen intervint comme il put, lui aussi empêtré dans les mailles délicieux de ce buste équivoque.
- Mon aimée, calmez-vous je vous en prie…si ce monsieur vous dit qu…
- MONSIEUR DE FERSEN !!! tonitrua Oscar. Vous allez très vite fermer votre auguste gueule sinon je vous la cloue à coups de bottes, est-ce clair ?
- Ca a le mérite d’être imagé au moins, vous ne trouvez pas ? commenta André se penchant, mains derrière le dos.
- Rrhhhaaaa et toi !!! Toi, toi tu vas…

Oscar fonça et leva l’index, à le visser dans une cible invisible tout en déchiquetant des yeux ce visage penché.
- Toi tu vas…

La colère partait par vagues, incendiait les joues.

- Tu…

Battit en retraite, lamentable, raréfia les mots et la salive : Oscar goûta l’air de ses lèvres, sans un son, le sourcil tourmenté par l’arme impossible à abattre : un sourire.

- « Tu… » quoi, fillette ?

L’index tomba. La fureur aussi, ce qui pouvait sonner le triomphe du jeune brun si ce ne fut la réaction, la plus terrible qui fut : lentement une larme noya un peu l’éclat d’azur, une autre, laissant la dureté de feu s’éteindre au profit de la peine, de celle qui bouleverse par sa pudeur.

- Tu n’as rien compris…laissa finalement tomber Oscar dans un filet de voix méchante, comme blessée dans son recul malhabile pour se soustraire au geste d’André, stupéfait.

Le menton tremblant elle se tourna violemment vers son père le Général, et cria encore.

- Et vous non plus, n’avez rien compris ! Jamais je ne serais cette fille que vous désirez, je resterai ce fils envers et contre tout, malgré vous ! Père je pars ce soir, définitivement, dussiez-vous me déshériter mais je quitte ce nom, ce domaine, tout ce confort que j’exècre. Je ne suis plus rien, je quitte ma charge et vais m’engager n’importe où, dans la première garnison qui voudra de moi. Je reste un homme, Père ! Un militaire ! Loin de vous, de vous…tous.

Le dernier mot fut pour André, si ses yeux vibrant de désarroi pouvaient en être la preuve. Comme s’arrachant d’une nasse invisible la jeune fille recula, douloureuse, terrible malgré ses larmes mais décidée à détruire l’ordre des choses, puis tourna les talons de ce qui avait été sa vie.

- Oscar !! cria le jeune homme, plus aucune envie de sourire.

Sans réfléchir il se lança à sa suite tandis qu’un léger flottement émoussait les réactions. Les murmures s’amplifièrent, secouèrent tout ce joli monde comme des peupliers sous la brise nocturne, personne ne comprenait rien mais tout le monde avait un avis, l’attention entière focalisée sur le trio de choc.
Le Général fit quelques pas, hébété, contempla Girodelle.

- Vos révélations, cher fils ? Vous…lui avez dit que…alors vous aussi…
- Et allez, on va encore avoir droit à une scène ridicule, mâchonna Fersen à lui-même.

Pour une fois Girodelle fut d’accord et prit les choses en main, à moins que la gêne fut vraiment trop grande sous le beau regard gris de son militaire préféré…

- Tudieu mais venez donc, il faut la rattraper ! On ne peut laisser faire un tel gâchis sans intervenir. Vite, allons-y !

Louable initiative, si ce n’est que tout un chacun le prit à son compte : la salle entière se rua sur les pas des trois hommes, au point de donner des airs de gigantesque curée à l’entreprise de sauvetage.
La chasse à l’Oscar était ouverte.
Et tous prêts à y mettre énormément d’application. Tout juste si on entendit au loin le « WOUAAAAH, regardez !! Un môme tout nu avec des ailes !!! » ni ce « Ferme-la Jeannot, t’as trop forcé sur le punch. »


****


Finalement cela n’avait pas été si difficile. A présent il fallait juste s’accommoder du froid glacial pétrifiant le cœur, devenu aussi léger qu’une enclume.

- Oscar !!

Elle aurait tant voulu revenir dans cet antre là-haut, tout arracher comme elle l’avait prévu, mais justement l’imprévisible était sur ses talons. Elle n’en voulait plus, de ces incertitudes détestables, elle voulait tout maîtriser. Comme avant. Alors, fuir…

- Oscar, écoute-moi Bon Dieu ! Arrête !

Ah ça non alors, jamais ! Je gagne cette partie, je suis si forte, je suis…
La jeune fille se jeta au-dehors, courut dans l’obscurité avec la seule idée d’échapper non à ce domaine mais à la voix familière, que sa détresse imaginait moqueuse lorsqu’elle n’était que bouleversement.
Le lumières des portes fenêtres éclairaient les gravillons de l’allée principale mais très vite on plongeait en eau profonde, dans ce parc qui la nuit n’avait plus rien d’avenant. Des buissons, partout, des angles vifs aux épines hypocrites, qui font mine de se cacher parmi les fleurs mais savent bien se rappeler à vous quand on les frôle de trop près.
Oscar en sentit la caresse cruelle sur son bras nu, elle en fut contente.
Ce serait peut-être le seul souvenir tangible qu’elle garderait de ce cauchemar tragiquement burlesque. Girodelle et son père…pouah, et Fersen, et…

- Oscar, arrête-toi ! Arrête !! Bordel de Dieu mais sois un homme, fais-moi face au lieu de te conduire en lâche, explique toi !

L’enclume prit des proportions gigantesque, menaça d’imploser sa poitrine et son corps entier ; la fierté ancestrale redevint soudain la plus formidable des épines qui puisse la faire saigner.
Elle la trahit : son pas se ralentit, s’arrêta.

Oscar rassembla tout ce qu’elle put de poignards, de couteaux et de glaives pour les mettre dans ses yeux, qu’au moins à l’approcher il se transforme en chair sanglante... Peine perdue, André resta parfaitement indemne en lui saisissant les épaules dans le mouvement de son pas furieux, l’écorce rude d’un arbre lui labourant presque la peau du dos quand il l’immobilisa. Sans aucune douceur il la secoua littéralement.

- Mais es-tu folle ? Te montrer ainsi, tu…Et pourquoi veux-tu partir de cette façon, pourquoi !

De cela aussi elle fut contente. Elle arma aussitôt ses poings et balança le droit, sur ce terrain elle était à son aise. Pas comme dans cette stupide cuisine, ah foutrecul plus jamais ça ! Maintenant on allait goûter à SA spécialité : les pains d’épices. Et vlan, encore un, servi brûlant !
Après deux bien sentis André évita le troisième, la pommette déjà marquée, et sans transition mis le couvert à son tour : une gifle magistrale fracassa la nuit, la joue d’Oscar surtout, l’envoyant dans un cri tout contre l’arbre. Cri de douleur moins que de stupéfaction…

Les yeux tout émoussé elle le regarda, toujours aussi hostile derrière ses principes mais sidérée oui. D’être frappée non pas comme son compagnon, pas comme d’habitude, pas comme les hommes qu’ils étaient. Une gifle…c’était plus terrible que tout. Mais c’était sans compter le reste, ces yeux à lui, d’un vert meurtrier parce très tendres, fatals pour la colère des jeunes filles en furie. Oscar sentit qu’ils ravageaient tout sur leur passage quand il fut contre elle, son cœur de chocolat guère long à refaire des siennes. Ça fondait de partout sous cet éclat limpide…Parce que là, vraiment, il ne la regardait pas du tout comme un homme.

- Bon sang Oscar, tu crois que c’est bien le moment de se battre, dit-il tout bas.

Il s’approcha, voulut toucher son visage. Main sur sa joue elle s’écarta et cracha son désespoir.

- Il est toujours temps de se battre ! Je ne sais faire que ça, je ne veux pas connaître autre chose ! Je suis née pour donner et recevoir des coups de poings, je veux la douleur, la gloire, la souffrance et pas…
- Il peut y avoir autre chose, aussi.
- …et pas…ça.

La voix d’Oscar s’érailla. Il s’avançait alors sa propre déroute fut naturelle, ultime petit mouvement pour continuer sa fuite qu’il stoppa sans mal en la reprenant aux épaules, la mettre bien face à lui, l’appuyer sur cet arbre avec ses yeux de printemps en guise de liens. Elle ne pouvait plus bouger, et n’en était même pas furieuse.
Enfin si.
Elle restait Oscar, de Jarjayes, tout de même…

- Qu’est-ce que je n’ai pas compris, dis-moi Oscar. Maintenant explique-moi.
- Je ne me souviens plus…
- Je n’ai pas frappé si fort que cela, si ? La mémoire n’est pas à cet endroit, murmura t-il en caressant le dos de la main posée sur la joue. Il continua contre le poignet, puis l’avant-bras, le coude…
Hésitante elle leva son autre poing, raidie par ce quelque chose d’agréable qu’elle refusait, déjà vaincue sous l’éclat mat du sourire qui fusa.
- Quelle tête de mule tu fais, rit-il doucement. Vas-y, continue de me casser la figure puisque tu en brûles d’envie.

Brûler…oui c’était le mot…
Elle détourna son visage alors que ses bras tombèrent finalement inertes le long de son corps, choisit un point invisible dans l’obscurité pour se soustraire à ses sensations terrestres.

- Et toi, répliqua t-elle lugubrement, toi aussi vas-y, ne te prives pas. Sers-moi donc tes « fillettes », je sais bien que c’est ce que tu veux. Contemple cette fille stupide, moque-toi d’elle, montre-lui sa sottise à ne pas vouloir de mari, raille sa dureté et son mauvais caractère, ses manières de cocher, sa fierté dérisoire, détruis tous ses travers par tes sarcasmes, gifle-la donc cette gamine prétentieuse.
- Mmmh, cela me tenterait assez…s’amusa doucement André. Mais je préfère lui expliquer qu’elle se trompe. Qu’elle non plus n’a rien compris. Regarde-moi Oscar…
- N…on. Je n’ai plus envie de regarder le monde André…et surtout pas toi.
- Pourquoi ? Dis-le moi par tous les diables !
- Parce que…parce que je me fais horreur, voilà pourquoi.
- Quoi ?!

Elle leva son visage avec violence, belle à couper le souffle de faiblesses.
- Horreur, oui ! Je me déteste André, je déteste ce corps ! Depuis mes douze ans je le hais un peu plus chaque jour, un peu plus grotesque à chaque fois que je le regarde ! Désespérée de me voir me transformer en ce…cette chose longue et fluette, sans force pure, sans vos muscles pour clamer la supériorité de mon sexe !
De manière impulsive elle se saisit des mains de son compagnon et les plaqua brutalement sur son buste, prise d’un dégoût irrépressible.

- Et je hais cela, par-dessus tout, je hais cette ignominie que la nature m’impose ! Cette tare que sans cesse tu me rappelles par tes moqueries, au point de vouloir mourir plutôt que de l’accepter. Cette horreur, cette poitrine que je hais, que je déteste ! Je suis un monstre, voilà la vérité ! Alors je veux partir oui, fuir cette maison où l’on expose à tous vents ce que je ne veux pas être. Je veux être Oscar, seulement cela !

Elle ferma les yeux, très fort, pour endiguer les larmes et la honte de s’être trahie, et puis le trouble enfin, sous la chaleur qui se distillait…là.
Cela n’avait rien de prémédité.
Fait en toute innocence.
Pourtant elle s’y brûlait.

- Moi aussi je la déteste, cette partie de toi.

Un remous désagréable lacéra son corps, peut-être parce que c’était justement ce qu’elle ne voulait pas entendre. Pas maintenant en tout cas, lorsque ses défenses étaient réduites à néant, drapée de sainte fureur il était facile de se défendre d’être laide, mais à présent…elle se vit réellement un petit peu mourir. Elle était cruelle cette blessure qu’il ne pouvait soupçonner donner, bourreau inconscient à poursuivre son murmure tout près de son visage.

- Je l’ai détesté, depuis mes treize ans, j’ai haï cette poitrine qui m’éloignait de toi. Qui me privait de ta présence…tu te souviens ?
Quand certains soirs tu venais tout contre moi me confier tes espoirs d’avenir, vibrante de cette ambition déjà farouche d’être un garçon…Brusquement tout cela disparut. Oui je l’ai détesté cette partie de toi parce que dès lors elle peupla mes nuits, elle m’attirait bien plus que de raison tout en m’écartant de cette transformation mystérieuse qui s’opérait. Combien de fois ai-je appuyé le front, contre le mur de ma chambre, à t’imaginer dans le silence sous mes paupières closes, dépouillée et vulnérable, vêtue de ta seule pudeur.
Et je venais te rejoindre, en pensée je me coulais sous ton drap pour épouser ces courbes discrètes que je savais désormais trop bien deviner à la lueur du jour, broyant de mes poings ce feu qui soudain consumait mes reins.
Je savais que je goûtais l’interdit, alors. Et je recommençais, voyant mon propre corps changer, se charger de tous ces désirs vagues et incertains, s’aimanter au tien de manière invisible. J’aimais cela, et je me détestais. Parce que tu changeais toi aussi, et sans moi, éloignée par cette cloison dérisoire que cent fois j’abattais, pour me lover enfin contre toi et respirer ta peau nue. J’imaginais ce qu’elle pouvait être sous mes mains, comme maintenant, chaude, vivante, comme la gorge d’un petit animal privé de liberté, qui cognerait de désirs inconscients sous mes lèvres ; et j’en avais si fort besoin qu’il fallait te rejeter, avec cruauté certainement.
Et je n’ai trouvé que ce mot, ce misérable « fillette » pour me convaincre que non, ce que je voyais n’était pas réel, que ce corps sous mes yeux ne devenait pas celui d’une femme, mois après mois.
Je savais que cela était nécessaire, je me maudissais, et je te provoquais pour que fuie l’attirance, casser le lien charnel invisible qui me soudait aux secrets de ces vêtements que je souhaitais arracher de ton corps. Voir les réalités de mes rêves, caresser cette partie de toi que j’ai haï pour ne pas t’avouer en devenir fou. Pauvre sotte, mon Oscar, adorable fillette qui jamais n’a deviné que je lui disais des mots d’amour…


Le monde s’ouvrait sous ses pieds. Le monde s’offrait à ses yeux pour l’éblouir, bourdonna à ses tempes, cogna fort à la rendre plus vivante qu’une eau vive. Si incroyables qu’étaient les sons, ces mots murmurés, ils s’incrustaient, marquaient de leur empreinte son esprit jusqu’à gonfler son cœur, sa poitrine toujours enserrée de ces mains de feu.
Oscar eut conscience de cela dans un souffle, par ce sourire de printemps saluant l’adieu aux armes entre eux bien que ce commencement n’était ni confortable, ni apaisant. L’inconnu qu’il offrait sous ses paumes, ces sensations dévastatrices, comment les concevoir ? Les prévoir, les maîtriser ? Recevoir ce sentiment si particulier, ne pas s’y perdre, se laisser fondre dans ces mains-là…

Elle se crispa, lorsque le geste s’amorça sur son buste ; cette caresse…Ses propres mains maladroites à ne savoir que faire, rejeter ou accepter…

André l’attirait, la décolla de l’écorce imperceptiblement, vers ses hanches accueillantes, se pencha…


- HEYYYYY, les voilà !!! Il l’a trouvée, André a trouvé Oscar, elle est là !! Venez vite !!


Le jeune homme étouffa un juron.
Pestant sur cet instant de grâce réduit en poussière, il se serait volontiers occupé de ce fâcheux si une autre tête n’avait surgi. Bah…deux contre un c’était facilement jouable.
Mais quand une troisième, quatrième, dixième tête émergea, André examina le ciel de manière suspicieuse : il ne pleuvait pas pourtant ça sortait comme des petits champignons, vraiment de partout.
Blop, blop, blop, une cinquantaine de têtes, cent, cent une, deux cents…
Il retira sa veste et en couvrit Oscar : regarder ce buste délicieux était SON privilège, que diable !! Chez les Grandier, on ne partage pas.


- Aaaaaaarrrhhh ma fille, ma perle, mon doux trésor je vous retrouve !! hurla brusquement une masse jaune du fin fond de la nuit, suivi de près par ses deux fidèles comparses.
- Oh non…gémit Oscar. Je n’en peux plus de ces épithètes ridicules, je vais le tuer…J’en ai assez…
- Attends, laisse-moi lui parler, asséna André fier de jouer les protecteurs virils. Mais avant de pouvoir montrer toute l’étendue de son talent diplomatique la jeune fille le contourna, se planta de sa façon unique devant le comité d’accueil.
Les trois vacillèrent presque devant ce rempart en longue veste tombant sur les poignets.
Fersen, inconscient du danger, ouvrit le feu.

- Oh chère Oscar adorée !!! Mon Dieu mais quelle sortie tout à l’heure, j’en ai encore le cœur qui bat !

PLAF !! le coup de poing partit aussi sec, très joli spécimen de pain d’épices fait maison. Le beau Comte se retrouva dans l’herbe, commençant à se demander si l’idée était si bonne que cela de se marier avec un tel ouragan. Il ne dédaignait pas l’action mais qu’on joue sur lui au lancer de disque avec les soucoupes à café dès le petit déjeuner n’était pas, pour lui en tout cas, le modèle du couple idéal.
Le Général, plus jaune poussin que jamais, s’empressa de venir hululer son désespoir face à l’échec d’une éducation dont il était si fier peu de temps encore.

- Tendre Oscar, chère fille, voyons !! Est-ce ainsi que vous espérez trouver mari à votre pied ?
- PERE !!! Comment faut-il vous le chanter, hurla Oscar. JE NE VEUX AUCUN MARI, ni pour mes pieds ou quelque partie de mon corps que ce soit !!!
- Mais…jamais !! Moi vivant jamais je ne peux laisser faire une telle infamie ! Je ne connaîtrais aucun repos si je ne vous sais pas heureuse, et un homme seul ne pourra que vous ap…
- Cornecul !! Père si vous continuez, je ne réponds plus de rien !!

La jeune fille, déchaînée, allait armer ses poings et se ruer dans la bataille quand André l’arrêta, se mit devant, face au Général. Ce dernier fut tout saisi par l’éclat indomptable de ce regard magnétique…

- Général de Jarjayes, devant témoins je vous le demande : le jour où vous verrez votre fille devant l’autel, jurez-vous de la laisser en paix, définitivement ?

Le demande prit de court un peu tout le monde, Oscar en premier évidemment, mais aussi les quelques deux milles petits champignons…hum, personnes arrivées entre temps.
Le Général ne s’attendait visiblement pas à ce retournement de situation, balbutia un peu mais se devait d’être logique avec ses arguments.

- Je…heu…quoi, oui un mariage c’est ce que j’ai dit, je…eh bien oui, je crois que ma mission arriverait à son terme, si Oscar se…
- Alors venez !

Sans ambages André se saisit brusquement du poignet d’Oscar, et l’entraîna en courant vers les grilles du Château.

- HEYYY, cria t-on. Il l’emmène se marier, c’est ça ? Suivons-les, faut pas rater ça, ça va être trop beau !!
- Jeannot, mais t’es qu’un gros couillon de romantique quand même…



En quelques instants les deux jeunes gens se retrouvèrent dans les ruelles de la ville, Versailles encore bien endormie malgré l’aube assez proche.
- André, mais qu’est-ce que tu fais !!

Autant parler à un mur. Oscar ne savait même pas pourquoi ni comment elle se laissait faire, tirée comme un paquet de linge et l’esprit à l’envers de ce qu’elle croyait comprendre de ce geste irraisonné.
Son cerveau connaissait une ébullition peu commune en fait, annihilant sa raison. Plus rien n’était rationnel ce soir ! Mais ça…oh non cela dépassait tout…
Son pouls rata une marche quand elle vit la petite église au loin, et André continuer inexorablement sa course.

- André, non ! Je…arrête-toi, nous devons parler, je…

Elle eut la certitude qu’il l’aurait traînée sur la pavé s’il avait fallut ! Trouvant cela peu digne d’arriver sur le ventre dans un endroit quelconque elle continua de courir, mais arrivée sur le parvis freina comme elle put, les doubles portes closes devenues pire que des Enfers ricanantes…
Un rien d’affolement quand à la santé mentale de son compagnon la gagna.

- ANDRE !!! Si tu penses à ce que je pense, il est hors de question de…
- Fillette, tu la fermes et tu viens, ou je te porte là-dedans sur l’épaule.
- Quoi ?!! Tu n’oserais quand même pas !
- On parie si tu veux. N’oublie pas que tu me dois deux gages…
- Que…comment ça ! André Grandier je te préviens que je vais te casser la…
- …gueule, je sais, mais ce sera pour après. Viens.

Il fracassa les portes, les battants résonnèrent avec un bruit d’airain dans la modeste chapelle. Le prêtre était là, dans un coin, en recueillement sur son prie-dieu sous la lueur des cierges…en réalité complètement assoupi sur son missel ouvert.

- Hein, que, quoi ? Saint-Pierre, c’est Vous ? sursauta t-il. Confondu d’avoir été surpris en pleine impiété il ne mit que plus de zèle à accourir, l’œil brumeux. Mes enfants, que puis-je pour le salut de vos âmes ?

Il détailla ces deux hommes, un jeune séraphin les joues toutes roses qui paraissait vouloir étrangler son compagnon, un brun en chemise dont le sourire ravageur réchauffait l’austérité de l’endroit.

- Nous voulons nous marier mon Père. Tout de suite.
- Pardon ?! s’étrangla l’homme de Dieu, qui se signa de manière frénétique. Mes fils, Satan vous égare ! Comment osez-vous venir blasphémer au cœur même de la maison du Seigneur ?! A genoux mes fils, et demandez pardon à votre Créateur !!
Le jeune brun rit de manière très gaie en enveloppant de son bras les épaules du séraphin.
- Mais non, regardez-la mieux mon père !

« La » ?

- Ooooooh…exhala le religieux en continuant ses signes de croix. Je…ma fille, pardonnez-moi…
- Mais pourquoi donc tout le monde se croit-il obligé de se prendre pour mon père…marmonna Oscar, étrangement confuse.
- Et bien, ce petit malentendu dissipé procédez à l’échange des consentements, poursuivit André sans se démonter, harponna le poignet gracile pour les mener vers l’autel d’une superbe autorité, le pauvre curé sur leurs talons.
Ce dernier, décidément tiré trop brutalement de son sommeil, ne savait plus du tout s’y retrouver.

- Mais, mes enfants…On ne peut se marier comme cela !
- Pourquoi ? Je suis un homme, elle est une femme, les clauses essentielles sont remplies. Alors procédez.
- Mais, ce que…enfin, il vous faut des témoins, au moins un, car il ne p…


A ce moment un brouhaha gigantesque agita les flammes des cierges, une clameur qui se concrétisa par la masse serrée de deux mille personnes se faisant un devoir d’entrer par le goulot étroit du parvis, une faune bigarrée qui fit racler les bancs, s’entassa comme elle put dans les rangées au rythme des cris de sauve-qui-peut général, avec, au premier rang deux hommes très élégants encadrant une haute stature bouton d’or.

André offrit un sourire angélique.
- En terme de témoins, serait-ce suffisant ?

Le curé commença à suer à grosses gouttes. Ça y est, on y était : Dieu lui envoyait une épreuve, terrible, pour éprouver sa Foi. Que devait-il faire ? Tout le monde le regardait, en attente, sous Son regard…
Le prêtre se tourna et vint faire la génuflexion devant l’immense crucifix.
- Pardonne-leur Seigneur, car ils ne savent pas ce qu’ils font…murmura t-il.

Puis, dans un soupir, disparut dans la sacristie.

Oscar déglutit, furieuse, mal à l’aise, curieusement excitée, horrifiée…Elle fixa ce compagnon séduisant en diable, plus déterminé qu’une meute de mulets à lui tout seul, plus qu’elle-même ce qui voulait tout dire.

- André…bégaya t-elle, je te jure que tu me paieras ça…
- Il ferait beau voir du contraire. J’attends les intérêts avec une impatience que tu n’imagines pas.
- Espèce de…
- Veuillez vous lever ! cria le curé à la cantonade, revenant à sa place vêtu de son aube d’officiant.

Il regarda les futurs mariés et les invita à approcher. André s’en acquitta d’une énorme bourrade dans le dos d’Oscar, qui faillit s’étaler pour de bon.

- Mes enfants ! Nous voici réunis pour célébrer le mariage de ces deux êtres que l’Amour a touché de sa grâce,…
- Mais bon sang de foutre, chuchota Oscar en envoyant un coup de coude dans les côtes d’André. Vas-tu arrêter de me bousculer à tout bout de champ !
- …pour que s’épanouisse un Bonheur d’absolu si…
- Ferme-la, c’est à nous, répliqua le jeune homme agrémenté d’une légère tape à l’arrière des cheveux blonds.
- …précieux à toute Harmonie. Le Seigneur n’a-t-il pas dit…
- Tu m’énerves, mais tu m’énerves ! siffla la jeune fille, son pied de côté dans le premier tibia qu’elle trouva.
- …que le Grand Mystère de l’Univers, est précisément ce…
- Arrête un peu de bouger ou je t’assomme, rétorqua son compagnon en lui pinçant méchamment le dos.
- Espèce de…
- Je peux continuer, oui ?!!

Figés comme les deux garnements qu’ils ne cessaient d’être, ils regardèrent l’officiant tout transpirant sous sa soutane, se turent à contre-coeur, enfin respectueux.
Le curé, lui, en avait visiblement assez.


- Oui, bien, pour une fois nous allons faire court ! Vous, Monsieur…heu…quel est votre nom au fait ?
- André Grandier.
- Ah ? Grandier…Tiens, c’est curieux, je connaissais un moine de ce nom quand j’étais jeune, il…
- Oui, c’était mon père.
- Comment ?!! Vous avez été conçu dans le péché ? Seigneur, ce n…
- Mais je plaisante voyons ! Des Grandier il y a des milliers, je vous les présenterais tous un jour si vous voulez mais continuez.
- Je…heu, oui. Hum, bien sûr…Vous, Monsieur André Grandier, acceptez-vous de prendre pour légitime épouse, Mademoiselle…heu…hum…votre nom je vous prie…
- Oscar.
- De Jarjayes, compléta le jeune homme. Et pas Grandier bien entendu, ce n’est pas ma cousine je vous rassure, au cas où vous vous auriez des doutes quand à notre moralité.
- Oscar ?!!! Un nom d’homme ?!!! Mais…
- Oui, ça en a choqué beaucoup, vous n’êtes pas le premier je vous rassure également. Allez faites comme si de rien n’était, soyez naturel, ça va très bien se passer. Continuez.
- Ah ? Heu…HUM…oui…Oh Seigneur ! s’exclama t-il tout de même en levant les yeux au ciel, pourquoi es-Tu si cruel avec moi ? Je Te sers fidèlement pourtant…mais…oui, hum…je continue c’est entendu.
Alors, heu…oui. Vous, Monsieur André Grandier, acceptez-vous de prendre pour légitime épouse Mademoiselle Oscar de Jarjayes ici présente, de la chérir, de l…
- Non, asséna André comme la chose la plus naturelle du monde.

Un cri d’horreur unanime fusa, on avait mal entendu, des « QUOI ?!! » se répercutant partout.

- QUOI ?!! s’écria le curé, au bord de l’évanouissement. Il n’avait jamais vu ça, il ne comprenait plus, il reprit, livide.
- Monsieur André Grandier, a…a…acceptez-vous de prendre pour légitime épouse, Mademoiselle Oscar de Jarjayes ici présente, de la chérir, de l…
- Non.

Le saint homme passa au vert, promit mentalement de ne plus forcer sur le vin de messe, tenta le tout pour le tout.
- « …sieur Grandier, prendre légitime épouse, ‘selle Oscar ici présente, de l…
- Non.
Incapable de se maîtriser il tomba à la renverse.

Dans la cacophonie grandiose, Oscar quand à elle leva les yeux vers le visage séduisant, éblouie.

Elle comprenait…enfin. Il l’avait menée là, dans le seul but de lui offrir ce qu’elle, voulait : la liberté.
Pas de mariage, pas de serment…juste l’amour si elle souhaitait et rien d’autre, et l’opportunité d’être débarrassée de l’effroyable menace paternelle. « Quand vous verrez votre fille devant l’autel… ». Le contrat était rempli. Adorable André…

La jeune fille lui dédia un splendide sourire perlée d’émotion. Impérial, ce dernier lui dédia le sien en guise de promesse, se comprenant tous deux sans mot dire. Puis se tourna vers le curé dont la tonsure émergeait péniblement.
- Bon et bien, continuez !
- Que je…mais vous avez dit… articula le pauvre homme, de plus en plus verdâtre.
- Nous n’en avons pas fini : interrogez Mademoiselle à présent, respectez un peu les convenances.
- Qqqqquuuu…
- Les choses doivent être faites dans les règles, allons !
- HUM…je…Ma…Ma…Mademoiselle Oscar, éructa le prêtre, complètement dépassé. Voulez-vous, je vous en supplie, prendre pour époux Mons…
- Non.

Dans l’assistance les plus sensibles et fleurs bleues tombèrent en pâmoison : bon sang mais on leur gâchait tout !
Gouttant comme une salade fraîchement coupée le curé lui non plus n’en pouvait plus, houspillé qui plus est par ce jeune brun ravageur.

- Bien, et maintenant le plus important : le baiser. Allons, allons procédez, vous avez fait le plus dur, ce serait dommage de faiblir maintenant. Allez-y.
- Qqqqquuue j’y aille…mais…elle…vous…avez dit que…oui, hum…HUM…Seigneur, je ferai pénitence je TE le promets…HUM…Et bien, et bien…Pa…pa…par les pouvoirs qui me sont conférés je…je ne vous dé…déclare pas mari et femme. Vvvvous pouvez embrasser heyeuu…la non-mariée…

Indifférent au monde qui s’écroulait tout autour d’eux André se pencha, au moment où ses lèvres allaient s’emparer d’un tribut gagné de haute lutte un énorme sanglot déchira l’atmosphère.

- Mon Dieu mais que c’est émouvant ! s’effondra le Général en plein dans les bras de Girodelle, qu’il inonda méthodiquement. Les chers enfants, ils sont magnifiques ! Mon Dieu, mon doux Victor…

Monopolisant l’attention des deux jeunes gens stoppés en plein élan, le Général de Jarjayes considéra le mâle visage à travers ses larmes d’un air d’extase.

- Dites-moi Victor-Clément, je sais que l’instant est mal choisi mais…cela vous dirait de ne pas vous marier vous aussi ? Avec moi…

L’élégant Monsieur de Girodelle eut un lent sourire.

- Je ne dis pas non, murmura t-il.

Eperdus, ils s’étreignaient virilement quand un autre cri ébranla les esprits encore un peu lucides.

- OH, regardez ! Un ange ! Et il est armé !

Au beau milieu de travée se tenait en effet une sorte de petit angelot, entièrement nu, une curieuse brume au niveau de la ceinture qui bien plus tard peuplerait les nuits des spectateurs d’une certaine chaîne cryptée, un arc doré à la main pointé sur le couple…

- Attention, Oscar !

*SHBOIIING*…D’instinct André se jeta sur la jeune fille pour la protéger, passant tous deux par-dessus l’autel…

- AIE !!!

Avec stupeur on vit la flèche fuser en gerbes et se liquéfier dans la poitrine…du prêtre. Ce dernier, prêt à rendre l’âme se tint le cœur puis, rouvrant des yeux prudents, laissa tomber ses regards sur…


- Et voilà, c’est reparti, là ça sent le boudin les copains !
- Mais t’es pénible Jeannot, t’as pas fini avec tes métaphores cochonnes ? On a rien vu !




FIN








FIN

Quoi, comment ? « Fin » et pas de scène torride ? Pas de baiser, rien ? Rhaaaa scandale, y’aurait-il du mou dans le cahier des charges ? Ffff, ben si, « FIN »…

Ah làlà mais zut, je n’aime pas le mot fin…et puis j’ai toujours du mal à abandonner « nos » héros comme ça (oui, les pauvres…) Alors tant pis (et là c’est pour vous hein), ils reviendront encore une fois, rien qu’une, ne serait-ce que pour élucider quantités de questions essentielles : mais où était Grand-Mère pendant tout ce temps? Et puis…peut-être y aura-t-il une non-nuit de noces huhuhu, qui sait…





 
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