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  VI. La Colère
 
 
VI
La Colère
 



L’air de la nuit donna la nausée à Oscar, dégoûtée d’elle-même.
Folie, douleur...qui l’avait poussé à agir ainsi ? Lui, bien sûr...

André. Toi mon ami, mon presque frère...Toi que je hais pour mieux nier t’aimer...Non, je ne sais même pas si le tourment de mes entrailles peut s’appeler amour, je souffre tant ! J’ai mal André, au plus profond de ma chair je sens la blessure causée par ce désir que j’ai de toi et de ton corps, qui me hante...
J’ai peur de cette envie, je suis effrayée. Moi qui n’ai jamais voulu avouer la moindre faiblesse. Moi, dont on a fait un homme sans que je le veuille et qui le suis devenue pourtant par ma seule volonté.
Un homme...Foutaise !
Je ne suis qu’une hérétique, un monstre de la nature, une imposture condamnée à ne jamais avoir de sexe défini sous peine d’en payer le prix. Condamnée à souffrir pour te désirer autant...Je suis perdue, je ne sais plus ce que je fais, ce que je dois faire. J’étais prête à me jeter sur cette homme tout à l’heure...ô je jure par tous les dieux que je le désirais ! Mais pas comme toi, jamais comme toi...

Je ne sais plus.
Il y a trop de douleur dans mon corps, ce corps que je déteste et que j’étais prête à donner, offrir, sacrifier selon les propres mots de cet homme...Cet homme, que je croyais connaître lui aussi. Qui se donne à toutes les femmes, et que j’ai cru pouvoir prendre à mon tour. Et qui s’est refusé et m’a sauvé de moi-même.

Mais à présent ? Que dois-je faire, comment agir ?
L’action m’est si familière pourtant je suis désemparée sur ce chemin que je ne connais pas, que je n’ai jamais voulu connaître ! Cette souffrance tapie au fond de moi m’effraie et me plaît, j’en arrive à ne plus pouvoir me passer de cette torture. Un monstre, oui.
Je suis un monstre d’aimer la souffrance que tu m’infliges André, je ne la comprends pas et j’en ai soif. Mais je me meurs de ne pouvoir l’étancher.
Je te hais.

Tout se brouille pour m’étourdir un peu plus alors que je voudrais faire silence, faire cesser les cris de mes désirs de femme...Une femme...oui, c’est ce que je suis. Mais je ne sais plus comment le dire. J’ai porté la robe d’une vérité que j’ai cru juste, je me suis montré aux yeux du monde telle que la nature l’a voulu.
Et je me suis trompée. Au bout de cette évidence il y a eu cette même souffrance qui m’envahit aujourd’hui, ce vide qui m’étreint le coeur et dans lequel je sombre sans espoir de retour.
Ce soir je me suis conduite comme le soldat qu’on m’a appris à devenir et le gouffre s’est de nouveau ouvert sous mes pas pour me précipiter face à l’erreur de mes actes.
Alors que faire...que faire alors que je me sens mourir ?
Ce brasier en moi ne me laisse aucun répit, mes plaisirs solitaires me remplissent de honte et je les aime pourtant, j’aime que le vent tiède habille ma nudité, j’aime cette main procurant l’explosion des sens quand lentement elle pénètre en moi pour apaiser mon tourment.
Et je la hais, parce que ce n’est pas la tienne ; parce que ce ne sera jamais toi qui remplaceras ce simulacre de caresse. Je t’aime… je t’aime André.

Non, je suis folle de penser cela car pour toi je suis ton frère d’arme, jamais tu ne pourras me voir autrement.
Je te hais puisqu’il le faut, ô si tu savais à quel point !
Et comme je te désire.
Comme je voudrais te revoir tel qu’en ce jour où tu te croyais seul avec ces gouttes sur ta peau nue qui m’embrasait rien qu’à les voir glisser...Ton corps...ton corps m’obsède, je voudrais le caresser, le posséder jusqu’à en perdre le souffle, sentir sous ma main ton sexe vivant et chaud, y poser mes lèvres pour te faire gémir !
Oh Dieu mais comment puis-je seulement penser de telles choses, moi qui aie toujours eu peur de mon propre corps et de mes sentiments !
Je suis perdue...Perdue.


Le jeune Colonel de Jarjayes franchit les grilles de sa demeure comme un lieu de supplice, se ploya sur sa monture de tant d’accablement. L’aube était proche mais la nuit toujours aussi vorace, elle noyait les formes en décuplant leur contour de manière triste et presque menaçante. Oscar contempla ces bosquets arides, si proches du désert de son coeur qu’elle apprécia soudain cet instant suspendu loin du monde des vivants. Que dure éternellement cette nuit, et ne plus jamais affronter la lumière du jour ni l’imposture de sa condition. Ne plus jamais ressentir la troublante présence de son tendre bourreau, fuir André pour mieux l’aimer...

La maison n’était plus qu’une coquille vide sans l’animation des domestiques, les fureurs du Général son père et la tendresse fanée de Grand-Mère ; à cette heure plus aucun souffle ne froissait cet immense théâtre de pierres où se jouait à l’infini le drame de son existence. Que faire...dormir il n’en était plus question. Elle était ivre de fatigue mais les images sous ses paupières déroulaient leurs sombres emprises en la meurtrissaient de culpabilité et d’envie. Contre sa main se conservait toujours l’empreinte charnelle de l’homme auprès duquel son désespoir l’avait poussé; la sensation de ce membre viril, gorgé de vie...

Es-tu ainsi, toi aussi ? Cette dureté, cette douceur...que te procure donc ces caresses qui te faisaient sourire dans cette grange. Et tout ce que tu as fait à cette garce, est-ce bon, que ressent-on sous tes mains ?
Mon Dieu tes mains, je voudrais tant les avoir sur ma peau ! Je voudrais qu’elles viennent me tourmenter sans répit, faire toutes les choses inavouables que ma fièvre te chuchotera pour apaiser ou attiser le feu de mes entrailles. Que tes mains me façonnent, m’anéantissent, qu’elles détruisent mon âme de soldat pour faire jaillir ma nature de femme...
Caresse-moi André, prends mes seins en leur creux et réchauffe moi, brûle moi ! Je te hais, je te hais entends-tu ! Ces images je les déteste et j’en hurlerai pourtant de ne jamais pouvoir les chasser, pire de ne plus le vouloir.
Tu dois sortir de ma vie André, il le faut. Je dois me battre contre l’ignominie de mes sens et je gagnerai cette fois. Je ne faillirai pas. Je ne veux plus souffrir, je n’en peux plus...



Elle pénétra dans le grand salon baigné de lune. Elle frissonna. Oublier, oublier le fracas de leurs vies, s’oublier elle-même, ne plus songer à ce corps viril imposant de charme et...


- « Où étais-tu. »

Un violent et invisible coup de poing la laissa brièvement sans réactions, sans pensées. Lui...
Se retourner demanda un surplus d’effort à sa volonté car elle ne fut pas sûre de pourvoir supporter cet ultime combat avant l’aube. Curieusement l’obscurité l’y aida.
Il était là.
Sur le seuil, immobile. Ombre parmi les ombres, sa physionomie à peine devinée dans l’embrasure de la porte. Et la voix aussi froide que le métal bleuté distillé par la lune.

- « Où étais-tu. »

Elle en resta bouche bée. Aucune tendresse, aucune amitié passée ne venait adoucir les contours saillants de sa demande. Coupant, autoritaire. Glacé. Oscar serra les dents. Elle retrouvait l’homme qu’elle avait eu la surprise de découvrir en lui, ce mélange de dureté et d’amertume qui résonnait douloureusement à travers cette simple demande. Fort bien...faire taire les élans de son corps n’en serait que plus aisé. Sans vraiment pouvoir se l’expliquer la jeune femme sentit germer la fleur vénéneuse de sa passion, de celle qui blesse tout autant celui qui la respire que l’âme qui la cultive.
Elle en voulut à André à cette seconde, immensément, sans même savoir pourquoi. Ou plutôt...un jeune corps s’interposa à cette seconde, des chairs juvéniles vibrant sous l’indécente caresse de mains larges et viriles.
Elle se redressa, un mauvais sourire sur sa bouche sans savoir nommer jalousie le fiel qui en sortit. Seul comptait sa souffrance. Et le faire souffrir lui aussi...


- « André, mais quelle surprise...Ainsi mon emploi du temps t’intéresse ? La chose est nouvelle ma foi. Ces derniers temps tu n’avais pas l’air de te préoccuper outre mesure de mes faits et gestes. »
- « Je crois pour ma part que c’est toi qui m’évite. »
- « Moi ? Tu rêves mon pauvre ami. Et je trouve particulièrement ridicule le fait que tu sois resté éveillé à m’attendre. »
- « Ami...c’est un mot qui est devenu bien vide de sens entre nous me semble t-il. »
- « Que veux-tu dire. »
- « Que notre amitié parait se réduire comme une peau de chagrin de jour en jour. Je crois même qu’il serait plus juste de dire qu’elle n’existe plus vraiment, tu ne crois pas ?»
- « En effet. Je suis heureux de te l’entendre dire. Au moins la situation est claire désormais. »

Elle usait du même ton impassible mais son coeur se mit à saigner sur ces derniers mots. Pourquoi était-il si blessant, comme indifférent face au terrible constat de leur amitié passée. Même s’il avait raison.
Amis...ils ne l’étaient plus effectivement.
A présent lui fallait apprendre l’indifférence elle le sentait. Ce fut logique en pareil cas. Ou éprouver de la tristesse peut-être, de voir les souvenirs complices effacés sous l’usure du temps.

Alors pourquoi cette rage martyrisant son coeur, ce sentiment de frustration lui donnant envie de pleurer ? Non, peu importait ! Couper un bras gangrené faisait souffrir mais le tourment enduré était nécessaire. Comme un geste de survie. Pour que le corps retrouve enfin la force de vivre.
Voilà ce qu’elle devait faire, voilà comment agir. Elle avait enfin la réponse.

- « Tu as parfaitement raison André, pourquoi se voiler la face. Nous ne sommes plus des enfants, inutile de nous mentir. Et puisque cette amitié semble nous peser autant l’un qu’à l’autre il est temps de prendre les décisions qui s’imposent.
- « Très bien, Je suis curieux d’entendre lesquelles. »
- « Tu le sauras bien assez tôt. A présent je suis fatigué, je monte prendre un peu de repos car j’en ai besoin. »

Elle marcha vers lui mais il ne bougea pas, se tint de front en lui bouchant ostensiblement le passage. Elle s’arrêta à quelques pas à peine, furieuse. Et leva les yeux vers cette silhouette sans visage percevant juste la respiration légèrement saccadée qui animait la vaste poitrine.

Oh mon Dieu, ton corps...Il faut que je le haïsse André, il faut que je te haïsse, toi, pour tâcher simplement de survivre ! Je...je dois combattre la merveilleuse violence qui naît au creux de mon ventre rien qu’à te deviner si près...


Oscar sentait clairement le gouffre se rouvrir sous elle et ses pensées désordonnées. Elle fut plus cinglante encore afin de raffermir sa volonté défaillante.

- « Et alors es-tu sourd à présent ? Pousse-toi de mon chemin André ! Je n’ai plus rien à te dire, pour le moment tout du moins. Tu ne vas tout de même pas passer ta vie entière à surveiller mes moindres faits et gestes ! Laisse-moi passer. »

Dix toutes petites secondes, à se faire face sans même se voir, une poussière dans l’existence qui parut grandir démesurément pour Oscar, se faire si profonde que les battements de son coeur emplirent tout l’univers.
Que m’arrive t-il...jamais je ne me suis sentie aussi mal de ma vie et je voudrais que cet instant dure toujours. Bon Dieu André fait quelque chose, réagis ! Gifle-moi, insulte-moi ! Touche-moi...oh oui, pose tes mains sur moi même si elles sont violentes...Je sais que tu ne pourras jamais éprouver le moindre amour envers moi, mais qu’au moins je sente ne serait-ce qu’une minute la pression de tes mains contre ma peau...
Il ne bougeait pas ; et puis...
Et puis le coeur d’Oscar se brisa, lorsque la silhouette obtempéra pour se fondre un peu plus dans l’obscurité. Elle ne laissa rien paraître, tranchante comme une lame en passant devant cette ombre silencieuse en rêvant au geste qu’il ferait, peut-être, sûrement, contre son bras pour la retenir...
Mais non, rien.
Rien...

- « Je finirai bien par savoir où tu étais. Les taverniers ne sont pas avares de renseignements. »


Oscar se retourna, envahie par le mépris crut-elle alors que ses désirs inavoués la blessaient davantage.

- « Tu es fou ? Tu vas continuer à m’espionner éternellement alors ? Mais tu es grotesque mon pauvre André, grotesque de croire que je me suis soûlée. Et pourquoi d’ailleurs aurais-je fait cela, à cause de notre prétendue amitié perdue comme tu dis si bien ? Comme si j’avais que faire de ces sentiments puérils ! Tout cela m’est égal, si tu savais à quel point. Et...et tu tiens réellement à savoir où j’étais ? Je vais donc te le dire puisqu’apparement c’est le seul moyen de me débarrasser de toi et tes questions stupides. J’étais avec Monsieur de Girodelle, là, tu es content ? Et il a été de fort bon conseils figure-toi, c’est un homme que j’apprécie énormément depuis ce soir ! »
Elle s’enfuit.

Sitôt la dernière goutte de poison crachée au visage de cet homme qu’elle désirait follement, Oscar tourna les talons pour cacher ses larmes. Elle courut jusqu’à sa chambre sans soucis d’être entendue en se jetant sur le tissu de soie du couvre-lit, relâchant pour la deuxième fois de la journée ses nerfs douloureux. De sa vie elle n’avait pleuré autant, ni souffert sans qu’aucune blessure ne fût visible. Son ventre se déchirait sous l’intensité de cette simple prise de conscience : André n’avait plus besoin d’elle. Sa froideur parlait pour lui, l’implacable manière qu’il avait de se comporter envers elle le prouvait.

Et elle-même ne pouvait plus supporter sa présence alors que des élans troubles manquaient à chaque instants de la trahirent en la précipitant vers lui. Pour être rejetée, la seconde suivante...
Comme c’était évident. Désespérément vrai qu’il ne puisse jamais l’aimer. Pas comme elle le voulait en tout cas.
Pas de la manière indécente et scandaleuse qui transgresserait cette union interdite forgée tout au long de son éducation.

Certes le Général de Jarjayes avait accueilli et élevé ce roturier comme son fils, mais la différence de caste n’avait jamais été épargnée à Oscar.
Oscar, Comte de Jarjayes et André Grandier.
Deux mondes, existant l’un par l’autre sans devoir prétendre se rejoindre et se comprendre.

Deux frères en apparence, perdus dans leur secret amour et brûlants de se le dire sans trouver les mots, justes meurtris par l’appel mystérieux des corps qui se cherchent.
Juste un homme, et une femme.
Et pour Oscar la peur de cette évidence que personne ne lui avait apprit à accepter.

Oui j’ai peur, j’ai si peur André si tu savais. J’ai peur...de moi. Ce que je ressens est mal, c’est ce que l’on m’a enseigné depuis toujours. Les désirs sont inutiles, c’est ce que j’ai cru...
Et aujourd’hui je suis prête aux pires folies pour oublier ce que tu éveilles en moi, j’attends désormais ne serait-ce qu’un geste de ta part même si je sais qu’il ne viendra jamais !
Pourquoi n’as-tu pas réagis tout à l’heure, j’aurais préféré ta colère plutôt que tes silences...
Pourquoi m’as-tu laissé passer, pourquoi m’as-tu obéi !
Tu devais me défier, tu aurais dû accepter le combat que je te proposais. Comme avant, tu te souviens ?
Lorsque nous étions enfants, où pour éprouver notre force je te tourmentais jusqu’à ce que nous nous battions à perdre haleine. C’est toi qui gagnais, presque toujours, sauf quand je trichais pour pouvoir dire que j’étais la plus forte. Je me trompais, je me trompe encore aujourd’hui ; je ne suis pas forte je suis fragile au contraire mais personne ne l’a jamais deviné.
Surtout pas toi, mon amour...Mon amour...
Oh Dieu, quelle folie me possède encore en disant t’aimer...L’amour n’est-il pas une chose merveilleuse ?
Et je ne ressens que ce monstrueux sentiment en moi, cette faim qu’imposent mes instincts au point de distraire mon esprit de toute autre pensée ! Même quand j’étais avec Girodelle c’était toi, toi que je voyais, toi presque nu sous mes mains maladroites et fiévreuses...
Mais il avait raison cet homme, me donnerais-je à d’autres que la souffrance serait là, toujours, arrimée si fortement qu’elle ne s’apaisera quoi que je puisse faire. Ces images...ces images si délicieusement perverses je ne les supporte plus, même si je les crée pour ma plus grande souffrance et mon plaisir.
Toi...et tes mains sur moi, en moi...et ta peau moite contre ma bouche, ton sexe d’homme caressant mon corps et je...
Oh mais pitié, que cesse donc ce tourment !




Eperdue Oscar plaqua ses mains tout autour de sa tête pour arrêter la cacophonie invisible de ses envies, se recroquevilla un peu plus sur elle-même. L’aube la trouva ainsi, les yeux rougis de peine mais asséchés d’avoir trop pleuré. Elle regarda les rayons tendres à travers le volet habiller peu à peu la pièce de minuscules flaques de lumière. Un autre jour, un autre mensonge...Prétendre être un homme.

Etre le Colonel de Jarjayes.
Cela devait avoir une fin. Tout a une fin. Tout. Elle devait briser le cercle et sortir de sa propre vie.
Cela au moins, c’était agir. La seule faculté qui lui restait.
La jeune militaire se relava et remit un peu d’ordre à sa tenue et son visage. Raffermit son caractère et l’éclat sévère de ses yeux. Recomposa pour quelques heures encore la mine familière du froid Colonel.
Chacun s’y laissa prendre à Versailles, hormis le Lieutenant de Girodelle peut-être même s’il feignît l’indifférence en évitant soigneusement de croiser son regard.
Oscar le remarqua et lui en fut reconnaissante, bien qu’aucune variation n’adoucisse l’expression de ses traits. Avec la même rigueur elle sollicita un entretien auprès de Sa Majesté, vint se ployer et mettre genou à terre devant le trône.
Et sans faillir, sans qu’une once d’hésitation ne fasse trembler sa voix dit adieu à son passé au moment précis où elle conjura sa souveraine de la relever définitivement de ses fonctions de Colonel de la Garde.


 
 
 
* * *
 
 
 



Il crut bien réduire en poussière tout ce qui se trouvait dans cette pièce, mais encore une fois sa propre maîtrise le surprit. En apparence si calme, si distant tandis que ses chairs se lacéraient...
André continua de tourner dans sa chambre sans pouvoir arrêter le flot de ses pensées.
Elle...si femme dans son uniforme mâché d’insomnie, si flamboyante parmi cette pénombre révélant tout au plus son incomparable chevelure d’animal sauvage. Comme il l’avait convoité, ce soleil d’ombre à cet instant. Plonger ses mains toutes entières dans l’océan de boucles folles, attirer le visage deviné. Et ses lèvres, les maltraiter d’amour sans pouvoir jamais y mettre fin. L’embrasser, imprimer ses courbes contre ses mains. Ses mains, qui seules désormais lui seraient fidèles et deviendraient bientôt seules juges de la beauté du monde qu’il distinguait avec de plus en plus de mal.
Sons oeil encore valide était condamné, il le savait.

La visite au docteur Lassonne n’avait été que routine, du moins pour lui, faite davantage pour tranquilliser Grand-Mère qui s’inquiétait de le voir sombrer dans le morne réconfort de l’alcool. La bouteille, cette impitoyable ogresse qui dévorait chaque jour ses espoirs, ses forces, sa réserve aussi. Ce calme...ce calme presque effrayant qui était le sien détruit par cette diablesse. Il ne fut pas sûr de parler de sa maudite et dérisoire compagne de beuverie, cette foutue bouteille qu’il s’appliquait à rendre cocue en la remplaçant sans cesse. Ce feu, en lui...n’était-il pas dû uniquement à cet ange, cette rose qui se battait si fort contre elle-même. Mais Dieu que ses épines faisaient mal, il souffrait plus qu’il ne l’aurait cru.
Il l’avait cherché bien sûr, la pousser devant la fausseté de sa condition depuis toutes ces semaines était son oeuvre. Pourtant elle se battait avec une telle énergie...serait-il de taille, jusqu’au bout ?
Brusquement il n’en fut pas certain. Troublée, il pouvait lui faire face. Froide, désormais il trouvait invariablement le sésame pour forcer l’ouverture de la carapace. Mais ce soir, à l’instant...Elle avait eu un sursaut imprévisible, si profondément cruel que le jeune homme ne pouvait comprendre comment les murs de sa chambre ne s’écroulent sous sa fureur.
Mais non, il restait là, redoutablement calme à ruminer ces quelques mots : « J’étais avec Monsieur de Girodelle...c’est un homme que j’apprécie énormément depuis ce soir... »
Impossible, pas cela...

Tous ses efforts, tout cet amour à nouveau piétiné, bafoué pour un autre ? Le supporterait-il, encore...
Le sentiment qu’il portait à cette femme était si vaste, si puissant, la tentation d’y sombrer tout entier si forte...Se retenir de la prendre dans ses bras avait été une torture, à quelques pas de lui Oscar était devenue soudain l’incarnation du péché, l’interdit qu’il convoitait depuis tant d’années. Cette passion l’effrayait, si...exclusive. N’était-il pas fou, décidément, d’oser penser que cette déesse puisse payer ses sentiments en retour ? Oscar, l’aimer...Mais il y avait ses regards, cette rougeur inconnue montant contre ses joues pâles lorsqu’elle le regardait à la dérobée. Et toute cette violence, aussi. Toutes ses paroles acérées comme des pointes empoisonnées s’enfonçant lentement dans son coeur.
Il aimait tant cette blessure.
Comme l’expression du retour à la vie de cette femme-soldat. Elle n’était plus indifférente, impassible. Son âme se débattait, quitte à le blesser évidemment mais elle redevenait celle qu’il avait connue. Ardente Oscar, fière et belle ; mais trop, bien trop désirable...L’image floue de ses courbes dansait toujours devant lui, comment avait-il pu faire taire l’élan qui le poussait vers cette silhouette à quelques pas seulement de lui !
Comment ferait-il la prochaine fois, pour se retenir.
Ne pas la briser, juste détruire le soldat pour extraire la femme, lui montrer que son corps n’était fait que de chair. Découvrir ce trésor sans le perdre. Et s’offrir à elle, pareillement ; mais de quelle manière il ne le savait.
Etre fort pour deux, rester aussi impassible malgré le bouillonnement de son sang lui soufflant toutes les folies.
Pour combien de temps, encore...



 
 
 
* * *
 
 
 



Que l’odeur des lauriers roses était douce, mêlée à celle plus subtile du lilas blanc. Oscar ferma les yeux sous cette suavité inattendue, respira avec reconnaissance ce parfum volage calmant un peu ses tempes douloureuses. Tout était à sa parfaite place pourtant, chaque bosquet, chaque rayon de soleil éclaboussant comme toujours les pelouses piquées d’arabesques fleuries, le chant des oiseaux immuable.
Les jardins de Le Nôtre était un havre de paix, rester là faisait oublier soudain le fracas du monde et ses misères comme un voile jeté sur la conscience humaine. Oscar respira, profondément, s’emplie de ces lieux et ces odeurs que jamais elle ne reverrait ni ne sentirait jamais. Versailles ne serait bientôt qu’un souvenir, un reflet de blondeur courant dans le parc, le rire léger de cette souveraine qu’elle avait tant aimé.
La douleur était infime car aucun regret ne venait l’attiser. Oscar quittait une époque, un rôle qui au font n’avait jamais été le sien bien qu’elle se fut appliquée à le croire. Le Colonel de la Garde n’existait plus. La pièce était finie et le drame joué, et elle se sentait incroyablement légère de cette décision ; insensée aux yeux de sa souveraine mais qu’importait.

Alors qu’elle respirait les arômes envoûtants après être sortie du Petit Trianon, Oscar se sentit enfin en accord avec elle-même. Son coeur la serrait, mais elle était sereine. Peut-être parce que le pire était à venir...Oscar redressa son menton et raffermit sa démarche en s’éloignant de son passé, elle était résolue à faire ce qu’il fallait, aller jusqu’au bout de son intention, et dès ce soir.
Lui dire adieu, à lui aussi.
Bien qu’à cette idée son coeur s’arrêtât de battre.
A mesure que les pas de son cheval la ramenaient au domaine familial, le doute s’insinua quand à son propre courage. Jamais elle n’eut à ce point conscience de son orgueil, sa vanité à affirmer qu’elle se devait d’être forte en toutes circonstances. A la vue des hautes grilles sa respiration devint plus difficile, ses mains moites. Un instant elle retint sa monture, resta sous l’animal qui piaffait d’impatience de rejoindre son box. Elle regarda l’antre des turpitudes où était né l’origine de ses tourments.
Pas encore, c’est trop tôt. Si je te vois, si je te vois à cet instant je ne crois pas que je puisse aller jusqu’au bout. Mais je le dois, pourtant ! Il faut que je brise ce qui a été ma vie, complètement. Et toi aussi André, je dois m’éloigner de toi à jamais. Mais...pas encore je...je ne pourrais pas je...

Aucun écho ne lui parvint de la grange. D’habitude sa venue appelait aussitôt la réaction du jeune homme et il venait au devant d’elle. Le souffle court elle descendit et mena elle-même sa monture jusqu’aux stalles ombragées, rassurée par cette courte rémission que lui accordait le destin. Il n’était pas là bien sûr mais lorsqu’elle se retourna ce tas de foin suscita immédiatement le trouble familier, la vision de corps emmêlés à l’érotisme flou, les pulsions de son âme coupable. Elle se jeta au dehors, malheureuse.

Il n’était pas là.
Elle apprit par Grand-Mère qu’André ne reviendrait sans doute que ce soir, la jeune militaire étrangement soulagée par ces heures trop longues qu’elle devait perdre en l’attendant.
Il fallait qu’elle lui parle, elle le devait. Réussirait-elle à garder son calme, son imperturbable sang-froid en prononçant les mots qui déchireraient l’ordre établi de son existence ? Elle devait tenir son rôle, jusqu’à ce point en tout cas. Et ne pas faiblir face à lui, jamais, plutôt mourir que d’admettre son propre trouble.
Il avait tort après tout, ce misérable laquais. Cette fois ses sens ne la perturberaient pas, elle étoufferait sa passion sous la cendre de sa raison. Elle en était capable. Cette fois elle le pourrait. Elle allait se battre, elle se l’était jurée.


 
 
 
* * *
 
 
 



Et encore une...décidément il était en forme ce soir !
André reposa son verre, un sourire d’amertume en songeant au nombre d’infidélités qu’il avait commis : le tavernier commençait à râler de voir les bouteilles vides s’aligner, un comble ! Bah, quatre, cinq...quelle importance de savoir la quantité d’alcool qui se déversait dans ses veines quand la douleur était toujours aussi solide au creux de son estomac. Un brouhaha subit le détourna de ses exploits : un groupe de soldats braillaient fort pour passer le temps, les chansons paillardes commençaient à fuser sans soucis des autres clients.

- « Comment s’appelle t-elle ? »

André se détourna. Un homme se tenait appuyé au comptoir, sur sa droite ; il ne le regardait pas mais la question paraissait s’adresser à lui. Mâchoire forte et bien dessinée, le cheveu sombre en broussaille cachant une partie de sa figure, tout évoquait une solidité plutôt terrienne chez cet homme. Sa question n’en était que plus surprenante : sans en avoir l’air il venait de voir l’invisible. Sur la défensive, André prit le parti de ne pas comprendre.

- « Pardon ? De quoi parlez-vous... »
- « De celle pour qui tu te soûles depuis deux heures. Je t’observe depuis un bon bout de temps, me demandant ce qu’un homme comme toi pouvait bien foutre dans ce bouge. Alors, son nom. »
- « De quoi je...mais en quoi ça vous regarde ! »
- « Alors tu avoues, tu te soûles pour une femme j’ai bien deviné ! »


L’inconnu se retourna tout à fait, le transperçant d’un sourire entendu et deux yeux sombres étonnants de vivacité. Un soldat lui aussi, mais pas du genre à rouler sous les tables les soirs de beuverie apparemment, une nature à l’énergie peu commune paraissait en sommeil derrière l’espièglerie des pupilles brunes, comme prête à bondir. Et pourtant aucune menace en lui, il parut au contraire beaucoup s’amuser de la surprise de son interlocuteur.

- « Ne vas pas me dire que tu as perdu ta langue et la mémoire, je ne te croirais pas ! Mais avant de me dire le nom de ta femme laisse-moi te donner le mien : Alain de Soisson mon gars, soldat de son état et compagnon d’infortune de ces olibrius que tu vois s’agiter là-bas au fond. Ce sont pas de mauvais bougres tu sais mais la vie n’a pas été toujours tendre avec eux. Et elle le sera encore moins avec ces chiens de royalistes qui sont en train de danser sur nos têtes, il faut bien oublier de temps en temps qu’on crève de faim, pas vrai ?
Oublier qu’on est des bouts de viande tout justes bons à se faire embrocher par les émeutiers.
Tués par des pauvres gars comme nous en plus...mais il faut bien vivre, même mal, c’est pas bien digne mais c’est tout ce qui nous reste. Et toi, c’est quoi ton nom. »
- « André... »
- « André...et c’est tout ? Allez va, tu veux pas dire tes secrets et je respecte. Alors enchanté de te connaître André tout court, et maintenant dis-moi comment elle s’appelle ta petite femme qui te cause tant de misère. »
- « Laissez-moi... »
- « Pas question. Alain de Soisson ne laisse jamais tomber un ami et toi, tu me plais. Je veux savoir pourquoi un beau gars comme toi est en train de se soûler plutôt que de faire l’amour à sa gentille petite femme pendant toute la nuit. Elle est laide, méchante, hargneuse c’est ça ? Elle te bat peut-être, ça c’est vu... »
- « Elle...elle est belle et elle ne m’aime pas. Et elle n’est pas ma femme. »
- « Ah, je comprends...blessure d’amour... Elle est mariée c’est ça ? »
- « Non. »
- « Fiancée ?»
- « Pas plus. »
- « Tu lui as dit que tu l’aimais et elle t’a jeté alors ! »
- « Mais non elle ne connaît même pas mes sentiments et j... »
- « Et tu restes là comme un gland à te soûler ? Mais bon sang, qu’est-ce que tu fous ici ! Vas-lui dire que tu l’aimes pauvre nigaud. »
- « Ce...ce n’est pas si simple, et puis de quel droit vous vous mêlez d... »
- « Pas si simple, sans vouloir te vexer André c’est une parole de pleutre ça ! Tu lui dis, quitte à recevoir une poêle sur la tête ! Au moins après tu auras enfin une bonne raison de te soûler. Et imagine qu’elle te tombe dans les bras hein, tu y as pensé à ça ? »


André détourna son visage pour cacher le trouble de son âme. Il ne faisait que d’y penser depuis des années ! Et cet abruti qui ne comprenait rien, qui le tarabustait alors qu’il ne souhaitait qu’un peu de tranquillité...et avait diablement raison, au point qu’il hésitait entre lui défoncer la figure de coup de poings ou le remercier de cette franchise anonyme et rude. Dire ces simples mots, je t’aime Oscar...et pourquoi pas, pourquoi pas après tout. C’était bien la seule chose qu’il n’avait jamais tenté auprès d’elle, la sincérité. Pourquoi pas.
Il se dégagea brutalement du comptoir, à peine soûl. Juste un peu. Il regarda cet homme étrange à peine plus âgé que lui. Un pli douloureux déforma sa lèvre.

- « Pourquoi m’avez-vous dit toutes ces choses. »

Alain lui tourna le dos, reprit son verre pour le siroter tranquillement et haussa les épaules.

- « Tu vois un peu dans quel merdier nous pousse l’existence ? Si l’amour nous en fait sortir un moment ça vaut quand même la peine de tenter le coup, non. Ah les femmes...je te jure qu’elles peuvent être chiennes parfois mais impossible de vivre sans elles, crois-moi mon gars ! Allez vas-y, vas la conquérir ta princesse. Fais-lui des mioches et tâche d’être heureux dans cette putain de vie. »
André allait partir, se ravisa.
- « Elle est vraiment belle tu sais. Belle...à en mourir. »

Alain jeta un oeil espiègle par-dessus son épaule et salua cette révélation de son verre levé.
- « Alors raison de plus. Je ne connais pas meilleure façon d’en finir avec la vie que de penser à une femme. Adieu André tout court et si tu l’épouses ta beauté, pense un peu à moi de temps en temps. »

Il regarda le jeune homme brun sortir de l’établissement miteux, adressa un clin d’oeil au tavernier. Ce dernier cracha par terre et demanda.
- « C’est vrai ça, pourquoi tu te mêles de ses affaires, pourquoi que t’as dit tout ça à ce type. »
Alain remua le liquide grenat dans son verre, se concentra dessus et sourit.
- « Rencontrer un homme fou c’est rare, un amoureux vrai encore plus. Ce gars-là est les deux, et c’est sublime... »
Indifférent, le tavernier cracha de nouveau à terre sans rien comprendre.



 
 
 
* * *
 
 
 
Hafsa-Nadra...ce prénom aux saveurs d’épices et de menthe revint en mémoire à Oscar tandis qu’elle allait et venait dans ses appartements d’un pas nerveux. Une lionne, c’était bien ce à quoi elle devait ressembler. Perdue dans ses colères, ses non-dit qui bientôt allaient s’exprimer. Elle suspendit ses gestes, couva d’un regard noir le couvercle ouvert du clavecin. Quelle dérision, soudain, que sa vie...Confortable, établie, incarnée à cet instant par l’aristocratique instrument ouvragé de bois de rose. Désoeuvrée elle s’assit, crispa ses mains au dessus du clavier.
Elle se souvenait des cours de son précepteur, un autrichien étriqué et aigri de n’avoir jamais obtenu le poste de Kapellmeister qu’il briguait dans son pays natal, rejetant ses aigreurs sur ses élèves en imposant la dictature d’exercices arides pour assouplir les mains malhabiles.
La musique aussi pouvait être une lutte, impitoyable ; contre ses propres muscles, raides et gauches qu’il faut assouplir chaque jour durant des heures ; la brûlure du dos et des épaules qui rejettent sans appel cette immobilité forcée. Et le poignet juvénile et trop tendre qui se crispe à se briser parfois sur un passage difficile, pour recommencer sans cesse sa torture avant d’espérer la transformer en plaisir. Subir les vexations verbales et les coups de règles sous prétexte d’être un enfant encore ignare.


La nature profondément fière et orgueilleuse d’Oscar s’était toujours rebellée contre cela, ne comprenant pas pourquoi elle devait subir la punition infamante à cause de notions qu’elle ne maîtrisait pas.

Mais elle avait serré les dents et tenu bon, une lueur de défi dans l’azur silencieux de ses yeux.
La jeune militaire se jeta à corps perdu.
Bach. Le prélude en do mineur, ardent, sanguin, qu’elle entama comme une course échevelée vers l’abîme. Les harmoniques se firent démons, les doigts de clairs cavaliers chevauchant la foudre.
Jamais elle n’avait joué ainsi.
Attendre, l’attendre encore et encore. André...son amour et sa haine, son tourment. Sa blessure.
Avec toujours cette même lueur impitoyable et silencieuse dans ses yeux.

En bas, Grand-Mère écouta le déferlement d’arpèges partagée entre inquiétude et surprise. Elle n’avait jamais vraiment eu la fibre musicale mais son bon sens naturel l’avertit que quelque chose se passait chez sa petite fille de coeur. Tant de fureur jeté à chaque accent...le son aigre du clavecin paraissait emplir la demeure entière.
Elle se sentit vieille tout à coup et pire, inutile. Que pouvait-elle faire ? Régnait ici une ambiance si étrange ces dernières semaines qu’elle ne savait que faire. Elle n’avait plus la carrure pour affronter ses deux monstres chéris, même ses colères légendaires s’étiolaient de découragement. Son esprit était toujours aussi alerte ça oui, mais le corps ne suivait plus. Elle n’avait que de pauvres moyens à sa disposition et le coeur serré elle prépara tout de même la boisson préférée de sa chère petite, ne pouvant guère faire autre chose.
Elle disposait le tout sur un plateau quand la présence d’André se révéla derrière elle. Perdu parmi de sombres pensées apparemment, comme toujours. Tendu à l’extrême.
La vieille dame baissa les bras, cette fois.
Trop de malheur dans cet oeil unique, auquel répondait la violence musicale en une sarabande infernale.
Elle en avait mal à la tête et avait besoin de repos.


- « André ? Au lieu de vouloir boire encore plus qu’il ne faut, vas donc porter son chocolat à ma petite Oscar.
Et tâche d’être gentil avec elle, ou tu auras affaire à moi. »


Le jeune homme eut l’air contrarié par cette semonce dérisoire mais parut réfléchir.
Grand-Mère le regarda monter muni du plateau fumant, elle soupira d’agacement et de lassitude : qu’ils se débrouillent après tout, pour ce soir elle ne voulait plus entendre parler de rien.

Lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir et le délicieux arôme se répandre dans la pièce, la jeune militaire lança un bref merci à Grand-Mère par-dessus son épaule. Lorsqu’elle entendit la voix grave la détromper ses doigts glissèrent sous le désordre brusque de son pouls...
Maintenant... je dois te parler maintenant, et jamais je n’y arriverai. Courage, oh mon Dieu je vis un cauchemar mais je dois tenir.
Elle se leva durement, s’aperçut que le jeune homme s’était détourné comme hésitant sur ce qu’il devait faire mais elle l’arrêta, sèche et cassante.
- « Attends André, j’ai à te parler. Je crois que tu te doutes plus ou moins de quoi il s’agit n’est-ce pas. »
Il ne répondit pas.

Pourquoi ce manque de réaction désormais. Regarde-moi au moins...
Oscar contracta ses mâchoires en essayant désespérément de maîtriser ses pulsations désagréables, et sa peine trop immense. Elle poursuivit d’une voix blanche à l’adresse de la silhouette à demi tournée.


- « Cette situation ne peut plus durer, j’en ai assez et je crois que tu partages également ce sentiment. Je tenais donc à t’avertir des décisions que je viens de prendre. Elles auront l’avantage de nous satisfaire l’un comme l’autre, j’en suis persuadée. Tout d’abord...tout d’abord je t’informe que je viens de démissionner de ma charge de Colonel de la Garde. J’ai sollicité cette faveur de Sa Majesté aujourd’hui et Elle a eu la bonté d’accepter sans condition. »


La nouvelle claqua tel un coup de fouet et le jeune homme y réagit avec autant de stupeur que la voix d’Oscar contenait de tranchant.
- « Quoi...Mais pourquoi commettre cette folie ! As-tu perdu la tête ?»
Décontenancée une brève seconde, la jeune militaire se saisit de la tasse de porcelaine et se brûla de quelques gorgées de chocolat avant de poursuivre, guère apaisée. Elle sentit une joie fade à le toiser alors qu’elle se sentait particulièrement en position de faiblesse.

- « Une folie ? Libre à toi de le prendre ainsi mais pour ma part c’est la décision la plus sensée que j’ai jamais prise. Je te le répète j’en ai assez, tu peux comprendre cela je pense. Assez de cette mascarade que nous sommes forcés de jouer tous les deux, assez de te voir dépendre de moi alors que tu n’en as plus ni besoin ni l’envie.
Je souhaitais donc éclaircir ce point précis avant toutes choses, et te signifier que désormais tu seras bientôt libre d’agir à ta guise. Il est temps je crois que tu penses à...à t’installer dans une condition stable qui t’apportera ce que tu souhaites.
Désormais tu n’auras plus qu’à t’occuper de toi-même André, faire ce que bon te semble pour fonder une famille si tu le désires, je suis même sûr que mon père t’allouera une somme d’argent estimable pour se faire. Il t’apprécie beaucoup et ne t’a jamais considéré comme un domestique. »

- « Contrairement à toi apparemment, c’est ce qui vous différencie... »
- « Pardon ? »
- « Tu me congédie comme un vulgaire garçon de ferme, bravo Oscar la manoeuvre est magnifique et je suppose que je dois m’en sentir flatté. »
- « Que je...comment oses-tu dire ça ! De quel droit tu... »
- « ...je me permets de répliquer ? C’est ça que tu veux dire ? Oh c’est vrai, pardonnez-moi votre Seigneurie, souhaitez-vous que je m’agenouille devant vous pour vous remercier des bienfaits que vous m’accordez ? Mais quel ingrat, c’est vrai : pensez donc, la liberté pour le manant que je suis, de l’argent, la considération du Général de Jarjayes, tout est planifié pour mon plus grand bonheur de quoi pourrais-je me plaindre en effet ! Merci, merci mille fois. »


Mortifiée par l’évidence du propos, Oscar réagit tout aussi violemment au sarcasme.

- « Je te conseille de ne pas le prendre sur ce ton André ! »
- « Bien sûr. Tu veux que je batte des mains comme le docile esclave que tu te plais à manipuler selon ton bon plaisir. »
- « Je...je n’ai jamais fait ça ! »
- « Si. A l’instant. Me jetant ma solde au visage comme au plus vulgaire de tes soldats, sans aucun égard pour mes propres sentiments. »
- « Tes sentiments ? Mais laisse-moi rire mon pauvre André ! Comme si je devais me soucier de ce que tu penses face au gâchis de notre prétendue amitié ! »
- « Prétendue ? Elle n’existe plus depuis longtemps pour toi alors. Eh bien...j’en apprends de belles ce soir. Ravi de te voir si sincère... »

Elle sentit sa rancoeur monter un peu plus. Ses paroles acérées se succédaient sans qu’elle puisse ou veuille les endiguer. L’esprit de plus en plus confus. Il était là, planté face à elle, amer et campé de toute son arrogance. Narquois. Et tentateur, oh Dieu s’il savait à quel point !
Ne peux-tu pas comprendre combien je te désire à cette seconde, André ? Pour quelle raison je te provoque ? Mais réagis bon sang, gifle-moi ! Touche-moi, étrangle-moi, fais de moi tout ce que tu veux. Supprime cette distance odieuse et interdite entre nous. Moi je n’ose pas ; je ne suis pas un homme mais je ne sais pas être une femme André, ne peux-tu pas le comprendre ?


Il portait encore sa veste, elle le détailla sans clairement le voir hypnotisée par sa propre douleur et sa maladresse qui les blessait autant l’un que l’autre. Elle essaya de lancer un rire qui sonna faux.


- « Tu parles de sincérité, voilà qui est amusant. Tu es insolent, moqueur, in... »

Elle faillit dire « infidèle » mais se retint à temps, l’ombre de cette petite traînée de Louison se projetant soudain entre eux. Son regard se durcit de haine.
- « Oui, tu es bien risible en vérité. Tu agis sans plus te soucier de moi et lorsque je t’affirme qu’à mon tour je n’ai que faire de tes agissements, tu joues les martyres ! Pathétique, tu es vraiment pathétique mon pauvre André. »

Loin de se démonter il eut ce sourire intolérable de dédain, comme si rien ne pouvait l’atteindre. Mais sa poitrine se soulevait tout de même de manière saccadée, très légèrement...

- « Quelle fougue...On t’a changée ma foi. Toi hier si posée et rationnelle te voilà aujourd’hui décidée à me parer de toutes les qualités possibles ! Tu me chasses, tu changes de fond en comble ton existence. J’aimerais comprendre... »
- « Il...n’y a rien à comprendre, en tout cas rien qui te regarde. »
- « De mieux en mieux. Visiblement cette discussion édifiante est un adieu en somme. »
- « Exactement. »
- « Parfait, si tu le prends ainsi. Je vois que rien ne te fera changer d’avis, comme à ton habitude. Pour simple information je suppose que c’est auprès de ton petit Lieutenant qui tu as glané d’aussi bons conseils ? »
- « Quoi ?! »
- « Ton Girodelle, cet homme que soudainement « tu apprécies énormément » selon tes dires. Ce brusque changement, c’est pour lui n’est-ce pas ? Tu l’aimes, c’est évident. Puisque nous en sommes aux révélations sincère aies ce courage au moins, dis-le donc !»


Stupéfaite, Oscar découvrit dans l’éclat émeraude cette même haine qui sourdait en elle. Comment osait-il parler ainsi, lui, qui ne l’aimerait jamais...

Blessée, elle cracha son venin.
- « Et pourquoi pas, que Girodelle soit la cause de tout ceci est en effet possible même si cela ne te regarde aucunement ! Maintenant vas-t-en André, je ne veux plus jamais te revoir ! Tu ne comprendras jamais rien alors sors d’ici. »
- « Et que dois-je comprendre ? »
- « Va-t-en ! »

Elle avait crié, comme un animal qui s’écorche à son propre piège pour s’en libérer. Pourtant elle n’avait pas menti, pas complètement. Girodelle lui avait fait comprendre bien des choses c’était vrai, grâce à lui elle percevait enfin ce sentiment trouble pour André.
- « Laisse-moi tranquille à présent. Inutile de nous disputer encore une fois, tout a été dit. Adieu. »

Elle voulut s’éloigner mais il l’a suivi de quelques pas.
- « Foutre dieu mais c’est un peu facile Oscar ! Pour qui te prends-tu, ton orgueil n’aura donc jamais de limite ? Tu édictes, tu imposes, tu commandes, les êtres humains ne sont bons qu’à t’obéir selon toi ? »
Il avait raison de vouloir comprendre bien sûr. Mais cet aveu, cet amour que lui imposaient ses sens Oscar ne pouvait consentir à le laisser échapper, jamais. Se battre encore puisqu’il le voulait.
Les yeux pleins de flammes elle fit face.

- « Et comment pourrait-il en être autrement André, tu peux me le dire ? C’est ce qu’on m’a appris à faire, la manière dont on m’a éduqué l’oublierais-tu ? Commander, diriger, oui c’est une chose qui m’est familière mais je n’ai pas choisi ce destin ! On me l’a imposé et j’y ai consenti, c’est là mon seul titre de gloire. Car j’en suis fière, ne t’en déplaise. Tu voulais une explication, la vraie raison de ma conduite ? Et bien je vais te la donner pour que tu me laisses enfin en paix.
Je me suis pliée à ce qu’on attendait de moi, toujours. Mon père a voulu un garçon ?
Il l’a eu. Et bien j’entends désormais assumer ce rôle jusqu’au bout. Que croyais-tu, que j’allais me marier avec Girodelle ? Mais je me moque bien de lui, André, je me moque bien des hommes, de tous les hommes ! Tu veux savoir ce que je compte faire, c’est simple : devenir le plus implacable, le plus impitoyable des soldats.
Je veux que mon nom inspire crainte et respect, sans...sans plus que l’on me parle jamais de mon statut de femme que je considère comme honteux ! Et si j’ai délaissé ma charge de Colonel de la Garde c’est qu’elle entravait mon ambition, aucune autre raison que celle-ci ! »


Une indescriptible sensation de douleur déforma les traits d’André, figé par ce discours hurlé de rage. Il laissa flotter un silence assourdissant par ces échos vengeurs. S’avança alors que les ombres du soir mangeaient leurs deux silhouettes.

- « Alors c’était ça...dis-moi que ce n’est pas possible Oscar... »

- « Que veux-tu dire ! »
- « ...après tout ce que j’ai essayé de te faire comprendre, ce que je t’ai montré...Toi non plus tu n’as décidément rien compris, jamais... »... »
- « Mais que marmonnes-tu André, tu deviens fou toi aussi ! »
- « Comme je me suis trompé, si lourdement...Venir te dire ces mots dont tu te moques... »

Bouche bée Oscar le vit s’approcher encore. Maudite pénombre...avait-elle rêvé ou bien était-ce une larme au coin de cet oeil perdu sous les mèches brunes ? Elle fut frappée davantage par l’altération de sa voix. Et son attitude, qui d’un coup avait perdu toute moquerie au profit d’une amertume sans limite. Il continua ses mots indéchiffrables.


- « Tu n’as pas compris, tu ne l’as jamais voulu sans doute...»
- « Tu parles tout seul ma parole. Que n’aie-je pas compris, parle clairement ! »
- « L’orgueil...c’est cela qui te mène après tout... »
- « Mais de quel droit me juges-tu ! Je ne comprends rien à ce que tu dis en effet. »
- « Oui, l’orgueil. Qui te dicte cette hérésie de prétendre être un homme. »
- « Je le suis, André ! »
- « Ne dis pas ça, arrête de dire ça ; tu ne sais pas ce que tu dis... »

Une rage incontrôlable s’empara d’Oscar. Elle désigna la porte, sentant monter des larmes qu’elle ne tenait à montrer à quiconque.

- « Assez !! Sors d’ici ! Personne n’a le droit de me juger tu entends ! »
- « Même si c’est sans moi...peu importe, mais n’oublie jamais cela Oscar : tu resteras une femme que tu le veuilles ou non. »
- « Pourquoi me dis-tu ça, pourquoi ! »
Elle eut beau crier, il n’ajouta rien de plus. Quelle folie la possédait... Elle s’avança, prête à lui griffer le visage pour le faire sortir de son mutisme.
- « Tu me parles d’orgueil, et que fais-tu en prétendant me connaître ? Et dis quelque chose au moins, parle ! »

Le coeur battant elle se posta devant lui, sauvage.

- « Tu es très fort pour donner des leçons semble t-il, tu juges et condamnes les autres sans appel apparemment ! Mais toi André, toi ! Qui es si perspicace, que sais-tu des sentiments des autres ? A moins que seuls les tiens ne comptent peut-être. Alors je ne te permets pas de douter de moi tu entends ? Je compte m’en tenir à ce que j’ai décidé et rien ne me fera changer d’avis. Vas-tu répondre au moins à cela, vas-tu répondre ? »

Et sans transition elle le gifla. Sans réfléchir.
Comme on lance un coup de poing.

Le souffle rare, elle osa fixer cet oeil à l’éclat indéfinissable. Aussi impassible sous la gifle que sous ses cris.
Elle avait tout détruit. Alors qu’il s’en aille, qu’il cesse de la tourmenter...
- « Va-t-en, je ne veux plus te voir ! »


Elle le repoussa férocement vers la porte, ivre de colère. Et il ne bougea pas, elle ne le comprit qu’à l’instant où ses deux poignets furent enserrés dans l’étau vivant de ses mains. Perdue parmi ses fureurs elle mit du temps à percevoir cette réalité. Ne comptèrent que ses sensations. La brûlure contre ses poignets, la douleur qu’imprimaient ces larges paumes serrant très fort. Et quelque chose de brusque, de doux, une force infinie contre ses lèvres, soudain. Une violence.

Un baiser.
D’une incroyable intensité.

Sans crier gare André s’était penché et lui avait pris les lèvres, les broyait des siennes sans plus pouvoir s’arrêter en rejetant ses poignets loin pour l’empêcher de se dégager, y songeait-elle seulement elle aurait été incapable de le dire. Son corps se tordit, désagréablement, les yeux grands ouverts sur l’incompréhensible. André, l’embrassant à en perdre le souffle. En lui faisant mal.
Mon dieu mais qu’est-ce que tu fais, je ne comprends plus, je...Oh mon dieu torture-moi André si c’est là ta punition ! Ne t’arrête pas de m’infliger ce que tu me fais subir ! Ta bouche, je...je ne comprends pas, je...

Elle étouffa une protestation douloureuse : il assurait sa prise, tordit un peu plus ses poignets fragiles pour l’attirer plus près de lui, brutal, ses yeux azurs se déchirant sous la pression humide de lèvres terriblement avides. Incapable de lutter elle capitula, le corps pris de soubresauts quand la langue du jeune homme attaqua sa bouche et viola cet antre sans sommation. Encore et encore, comme prise de frénésie.
Mordant presque ses lèvres pour y revenir goûter sans cesse et la contraindre à accepter sa passion malgré elle.

Lui...contre elle. Son odeur, sa force, sa respiration en désordre contre ses joues ; et toute la masse de sa carrure se pressant au hasard de ses élans. Qu’est-ce que tu fais André ! Tu m’embrasses, tu me fais mal et je ne sais même pas pourquoi ! Tu veux me punir, me montrer mon erreur de me croire un homme, c’est ça ? C’est ça n’est-ce pas...Tu veux me punir de mon orgueil, tu ne m’aimes pas mais tu te venges, c’est ça ! Ne t’arrête jamais de me torturer ainsi...

Par instinct elle tenta de se dégager, elle étouffait et perdait son coeur dans ce baiser. Puis elle tomba.

Lourdement, en arrière.
Lui, sur elle.
Mais que fais-tu, qu’es-tu en train de faire André !
D’un mouvement sûr il la poussa contre le lit et priva son corps de tout mouvement sous son poids. La bâillonnant de baisers. Oscar ne pouvait plus raisonner, n’existait que cela : lui, sur elle. Son corps d’homme, tant convoité, objet de ses fantasmes les plus enfouis ; sur son corps de femme qui se tendait sans qu’elle le veuille, désespérée de plaisir sous la violence qu’il imposait. Elle cria. Ou ne fut-ce qu’un murmure comme savoir, elle perdait l’esprit.
Il lui cloua les poignets de ses mains, il pesa encore plus fort pour les maintenir sous son emprise et continua de profaner chaque parcelle de peau que cette bouche insatiable trouvait. Son front, ses paupières, la peau douce de son cou, sa gorge. Plus rien n’était clair, ni sentiments ni sensations, ou celle peut-être qu’il lui liait les mains de sa poigne au dessus de sa tête pour la palper fébrilement, durement.

- « Non ! »

Le temps se suspendit soudain, se liquéfia et s’arrêta tout à fait.
Oscar regarda cet homme. Figé, pareillement. Elle n’osa plus respirer, pour que ne bouge son sein mis à nu sous une attaque plus brusque que toutes les autres. Plus aucune colère dans le ciel de ses yeux, un horizon vaste les peuplait : voir la stupeur de son presque frère qui pour la première fois découvrait la vérité de sa condition.
Il ne bougeait plus, tourmenté et ébloui par sa contemplation, avec dans la main ce bout d’étoffe arrachée d’elle-même. Le coeur tout au bord de ses lèvres entrouvertes Oscar attendait, sa chemise déchirée découvrant complètement son épaule et son flanc gauche.

A demi nue, face à cet homme follement haï et sombrement désiré, c’était trop ou pas assez pour elle désormais. Etourdie pas sa violence un moment plus tôt, elle hésita.

Que vas-tu faire de moi, André...A présent que décides-tu. Je...je te haïrais jusqu’à la fin de mes jours si tu me laisses... J’ai faim de toi, pourquoi ne peux-tu le comprendre...
Mais comment le lui dire, lui qui ne l’aimait pas, qui la violentait pour la punir de trop d’orgueil. Le provoquer, encore. Après il pourrait partir, à jamais peu importe, mais elle garderait au moins le souvenir des caresses de cet homme sur son corps. Cet instant, magique, où son frère s’était transformé en ce qu’il avait toujours été : un homme, capable de lui faire l’amour sans que cela ne soit l’inceste moral qu’elle avait toujours cru.
Touche-moi, caresse-moi autrement que par ton regard André...
Ne sachant que faire, Oscar quitta son état d’hébétude et arqua son corps, comme pour se dégager de plus belle en une sollicitation qui au contraire quémandait ce qu’elle espérait avec tant de ferveur depuis toutes ces semaines. Ce mouvement la galvanisa, sentir les angles des courbes viriles brouilla un peu plus ses esprits.
Elle devait le provoquer puisque c’était le seul moyen...elle étouffa un sanglot, se força à paraître farouche.


- « Malgré tout ce que tu peux dire et faire, je serai toujours un garçon à mes yeux, rien ne changera cette vérité.»


Elle se prit à redevenir violente, désemparée. La pression devint intolérable et sur un soupir André reprit vie à son tour. Il quitta du regard ce sein blanc, contempla ces courbes devinées sous l’étoffe de fine baptiste, ces plis qui effrontément dessinaient les bourgeons de roses durcis par les efforts qu’elle faisait pour se dégager. La pointe de son sein, sur lequel il se pencha dangereusement et gémit un désarroi immense.


- « Je ne peux pas te laisser dire ça Oscar, le voudrais-je que je ne pourrais pas. Tu es une femme, il faut que tu le comprennes. Pardon... pardon pour ce que je vais te faire mais je n’en peux plus, tu es si... »


Sa bouche se referma, emprisonnant le minuscule fruit rosé contre la pulpe de sa langue humide, avide et exigeante, sans plus pouvoir cesser de le goûter.

Oscar se rejeta en arrière. Que lui avait dit cette sultane, un jour ? Offre ton corps, mais que ton coeur reste libre...
Non, par pour André. A lui elle allait offrir son coeur en refusant son corps, puisque c’était le seul moyen de le posséder. L’espace d’une nuit, une heure, peu importe le reste ne comptait plus.

Elle se débattit sous lui, sans que cette bouche masculine ne quitte son sein et n’en écrase la rondeur tendre sous ses baisers, comme une urgence sans fin. Elle chercha à se dégager, précisément parce qu’elle savait qu’il ne la laisserait pas faire. Il l’agrippa, la ramena sans cesse à lui pour coller ses courbes, brutal ou tendre sous le rythme désordonné de ses lèvres.
Il dévora son épaule de baisers, au hasard, fébrile, reprit d’une main ses poignets pour les entraver et elle ne sut que dire « non », par la simple conscience que ce mot la soudait à cet homme devenu fou d’amour pour elle comme l’exprimaient ses paroles hagardes.

- « Tu es femme Oscar, ton corps te le prouve, écoute-le...je vais te montrer, je... »
- « Non, laisse-moi, arrête ! »

Il dégagea brusquement l’autre pan de sa chemise, l’ouvrit grand pour dévoiler son buste à ses regards brûlants, et permettre à sa bouche d’atteindre ce sein rond et dur galbé par leur lutte.

- « Non ! »

Elle cria plus fort cette fois, tiraillée entre la douleur de ses mains et celle de son ventre qui se renversa littéralement de plaisir. Elle cherchait à se dégager et ne réussissait qu’à suivre involontairement le rythme effréné de sa bouche, ces lèvres qui se refermèrent sur la pointe rosée et sucèrent cette toute petite partie d’elle-même en créant un brasier dans son corps entier.

Elle se tordit de volupté ; son corps en voulait plus mais il s’arquait comme pour échapper hors de cette étreinte, si violemment délicieuse, si désespérément attendue. Sur un soubresaut plus fort il l’attrapa.
Et la retourna, éperdu.
Il la mit sur le ventre et se coucha sur elle enfouissant son visage contre sa nuque, tout contre sa chevelure de lionne éparse.

- « Pardonne-moi Oscar, je ne pensais pas qu’un jour je puisse te faire subir cela, mais je deviens fou...tu me rends fou. »


Elle s’accrocha aux draps froissés, pour se débattre à nouveau, eut un sursaut lorsqu’elle perçut les mains larges autour de sa taille. Ses lèvres, dans son dos, partout à la fois, la privant de ses mouvements et de son souffle, bousculant son cerveau de sensations puissantes. Sa bouche, sur sa peau nue... : il venait de dégager les plis de sa chemise encore coincés dans la ceinture, ses mains sur ses hanches, sa taille, ses mains incessantes posées sans plus savoir être douces parce que trop pressées. Brutales, délicieuses...Oscar exprima brusquement sa crainte et son plaisir en les sentant passer sous elle, arracher plus qu’ouvrir son pantalon et continuer, continuer toujours....

- « Je sais que je serai tué pour ce que je te fais, ce que je vais te faire. Je ne voulais pas tu sais, Oscar je te jure que je ne voulais pas mais je ne peux plus m’arrêter. Pardonne-moi... »

Les poings crispés sur le couvre-lit, Oscar se cabra sous la douce violence qui n’allait pas manquer de l’ensevelir, elle pressa furieusement les lèvres l’une contre pour ne pas dire « non » cette fois, ne pas crier et se débattre, parce que cet homme elle le voulait, même ainsi. Elle était sans doute folle mais elle s’en moquait, elle le voulait, de toute son âme...

Mais ce cri qu’elle refusait jaillit tout de même, malgré elle, sourd et rauque de volupté inavouée. Parce que ce fut doux. Parce que pour la première fois véritable ce ne fut pas brutal. Parce que ce fut incroyablement tendre et qu’il lui dit ces mots, avant toutes choses.

- « Oscar...jamais je n’aurais imaginé que tu sois si...parfaite, si douce. Ta peau...elle me rend fou et je le suis déjà, tellement...puisses-tu pardonner cet amour que j’ai pour toi, il m’a trop longtemps dévoré pour que je lutte encore. Pardon... »

Elle hoqueta de surprise, haletant en silence en ouvrant démesurément les yeux. Et les referma bientôt, sans pouvoir lutter, quand elle sentit le souffle tiède au creux de ses reins doucement dénudés par la main virile, lorsqu’il enfouit son visage pour embrasser son dos avec dévotion ; lorsque son pantalon descendit sans brusquerie le long de ses hanches et de ses jambes, jusqu’à mi-cuisses, puis son sous-vêtement de lin. Que...que viens-tu de dire André...tu m’aimes comme...comme une femme, tu me touche comme...mon dieu tu m’aimes, mais depuis combien de temps ! Trop longtemps dis-tu et tu ne me l’as jamais dit, je...


Le monde parut s’emplir de sa propre respiration.

Haletante, elle se sentait perdre pied avec la réalité, avait du mal à se soutenir elle-même sur ses avant-bras à mesure que les lèvres du jeune homme conquérraient de nouveaux territoires. Partout. Il l’embrassait partout pour l’effleurer de tiédeur, en un souffle léger et tremblant d’émotion.
Oscar griffa le drap. Elle aurait voulu crier je t’aime elle aussi mais ces caresses la rendaient muette, ce qu’elles lui procuraient la privait de volonté, elle détruisaient ses certitudes, son armure.
Et ses mains, sur elle, étreignant ses chairs frémissantes et humides. Lui dire, lui dire je t’aime alors qu’elle ne pouvait même plus articuler une parole cohérente, juste ses soupirs qu’elle tentait involontairement de contenir sans savoir pourquoi, qui s’échappaient au hasard sous un baiser plus tendre ou exigent que les autres. Ne sachant comment réagir, avec juste le son d’une respiration tout aussi incontrôlée que la sienne derrière elle.

- « Tu es une femme, comment peux-tu me dire le contraire, dis-moi que tu me pardonnes Oscar, dis-moi que tu comprends ce que je te fais, dis-le... »


Parler, lui dire je t’aime, parler bon sang...

Elle se ploya ; ses bras la trahirent un peu plus, elle échoua son front contre la soie de la couverture quand les lèvres chaudes descendirent jusqu’où les vêtements baissés le permettaient, se perdirent entre ses cuisses.
Elle cria, encore, d’une voix sourde.
Tellement c’était bon.
Tu vas me tuer André, tu vas me faire mourir de plaisir et je ne t’aurais jamais avoué ce que je ressens pour toi ! Ne t’arrête pas de me faire ça, ne t’arrête jamais...Je suis folle, je pers la tête grâce à toi mais continue, encore, continue...
Il l’embrassait, il laissait courir ses lèvres closes sur sa peau moite et en choisissait la douceur, s’arrêtait sur une parcelle plus fine et sensible pour appeler ses soupirs, puis la goûtait, si tendrement… Murmurant sa dévotion, sa folie et son amour, inconscient de son pouvoir. Laissant le souffre de sa bouche l’effleurer tout au creux de ses jambes serrées, encore plus tendre, plus indécent à chaque contact.
Un long murmure la déchira de nouveau lorsque ces mains tant désirées revinrent contre sa taille, descendirent sur la chair douce de ses fesses pour en écarter l’intimité et l’offrir à une bouche insatiable.
Elle s’accrocha comme une noyée au tissu du lit, pour résister tant bien que mal aux soubresauts qui transperçaient son bas-ventre, son sexe devenu aussi humide que cette bouche aimante. Toutes ses frustrations disparaissaient, remplacées par cette faim si familière, physique, presque primale. Voulut-elle reprendre son souffle qu’André ne lui en laissa pas le temps. D’un coup de rein il fut sur elle, la couvrit de son corps, contre sa chevelure où il déversa la brûlure de ses murmures.

- « Pardonne-moi mon cher amour, jamais je n’ai voulu cela mais regarde, regarde ce que tu me fais... »


De sourdes plaintes franchirent les lèvres d’Oscar, si profondes qu’elles paraissaient souffrance alors qu’elles n’étaient que plaisir. Une brûlure plus intense encore, plus que toutes les autres ; unique.

Lui aussi gémit, mais non d’extase, pas seulement ; de peine et de culpabilité, tandis que ses reins caressaient ceux d’Oscar. Que la pointe de sa verge mise à nu sillonna sans relâche la courbe tendre des cuisses jusqu’à les faire s’ouvrir malgré elles.
Mon Dieu, ton sexe, ton sexe contre ma peau je vais mourir tellement c’est bon, si chaud et dur qu’il me fait mal ! Continue, encore...
Son cri monta haut, très haut d’elle-même, venu des régions inconnues de ses voluptés. En écho vint celui, désespéré d’amour, du jeune homme.

- « Pardonne-moi Oscar ! »

La main virile ouvrant sa fesse, la pointe dure et incandescente de ce membre se glisser avec douceur et résolution dans l’anneau de chair, la douleur...tout cela à la fois. Et plus encore. Les larmes d’André dans son cou, son mouvement doux et lancinant, puis brusque, arrachant une nouvelle plainte pour la pénétrer un peu plus, plus profondément à chaque fois, encore, et encore jusqu’à détruire la souffrance et la transformer en pure jouissance. Sentir son corps se tendre à l’extrême puis s’assouplir, au rythme d’André, au mouvement de cet amour interdit qu’il transgressait sans savoir qu’elle le voulait elle aussi. Cela faisait mal, et du bien. Beaucoup de bien.
Quand il s’arrêtait, un bref instant, tout au fond de son corps pour reprendre de plus belle, toujours plus fortement. Tellement de bien...incroyablement...ce sexe d’homme tant convoité, en elle, cette verge gorgée de vie et de sang qui palpitait aussi fort que le sien dans ses propres veines, elle en perdait la tête, toute sa réalité explosait sous les délices qu’il imposait ; et il ne cessait, il n’arrêtait pas un instant de la rendre folle de sensations, il lacérait son corps par ses souples coups de reins, ses bourses qui battaient de douceur contre son intimité...tellement bon de les sentir, encore, toujours...en un mouvement plus précis et profond à chaque fois au point qu’elle ne savait plus où elle était.


En moi...désormais tu fais partie de moi André, jamais je n’oublierai cet instant. J’ai mal et tu réussis à me faire aimer ma douleur, c’est si bon, immense, si tu savais...tu n’es qu’un fou mais je t’aime, je t’aime sans savoir te le dire...



Soudain la douleur, les ondes de plaisir, tout se brisa. Net. Que se passait-il ?

Pourquoi tout cela s’arrêtait, c’était si bon et elle avait froid maintenant, et mal toujours, il n’était plus là, pourquoi...Elle entendait des éclats de voix, comme dans une sorte de brouillard. Elle fut saisit aux épaules, agrippée avec fermeté et douceur, se laissa aller sur le dos. Frémissante, perdue. Transpercée aussitôt par l’éclat émeraude humide de fièvre et de larmes.

- « Quoi, qu’as-tu dit ! Répète ce que tu viens de dire Oscar ! »

Elle regarda ces lèvres bouger, sans comprendre ce qu’elles articulaient. André...il était penché sur elle, dégageait avec frénésie quelques mèches de son visage. Se concentrer sur ce qui se passait, tenter de comprendre ses paroles... Perdue dans son extase inassouvie elle le regarda, l’azur voilé de faiblesse, guidée par sa demande fébrile qu’il ne cessait de répéter. Puis une évidence traversa le voile de sa conscience.
Elle avait pensé tout haut.
Ses dernières pensées, sous l’effet du plaisir elle les avait dite claires et audibles, sans s’en rendre compte, comme les cris qu’elle gémissait sans savoir.
Et il les avait entendus ces mots, enfin.
Lui dire...

- « Moi aussi je t’aime...André...moi aussi. »


Il la regardait.
Penché sur elle, suspendu à ses lèvres et ce qu’elles balbutiaient. Lui expliquer, tout lui dire, mais pas maintenant, pas tout de suite...Elle chercha sa main, la cueillit sur sa joue et la fit courir sur le désordre de ses vêtements.

- « Viens...ici, je t’en prie... »
Le peu de souffle qu’elle avait elle le jetait dans ses paroles hagardes, son amour tout entier concentré dans ses yeux baignant ce mâle visage qui ne paraissait jamais vouloir cesser de la contempler. Elle fit glisser cette main virile contre son flanc, la fit descendre, comme elle l’avait rêvé tant de fois durant ses insomnies coupables.
- « Viens... »

Ses prunelles se noyèrent quand la paume recouvrit son sexe dénudé, s’insinua entre ses cuisses si intimement qu’elle écrasa son soupir de satisfaction en se mordant fort les lèvres. Enfin...enfin elle était heureuse et elle le lui dit à travers le silence de ses yeux bleus et ses larmes, qui coulaient, peut-être. Il fallait qu’elle lui dise combien elle l’aimait, mais pas maintenant. Pas avant qu’elle ne sente ses doigts caresser la blondeur de sa toison pour en chercher la peau si douce et sensible.

Elle se cambra sous la tension délicieuse qui la traversa mais se força à ne pas fermer les yeux, ne pas perdre le contact avec ce rêve éveillé de le voir trop proche au point qu’il en devenait flou, tout comme ses questions qu’il lui posait mais dont elle n’entendait rien si ce n’était sa tiède respiration sur sa joue, contre sa bouche entrouverte.
Sa main posée sur la sienne, elle le guida, mena ses doigts vers l’étroite intimité. Elle entendait ses questions, ses serments, ses mots d’amour sur sa lèvre sans pouvoir y répondre.

- « Viens... »
Il but ses gémissements, il les captait d’un baiser quand ils furent plus forts sous la caresse de sa main qu’elle tenait toujours ; mais elle détournait aussitôt son visage, parce que ses soupirs elle n’en avait pas honte, la terre entière pouvait les entendre puisque c’était lui qui les lui procurait.
- « Aime-moi André, encore... »

Les seuls mots qu’elle puisse dire, le reste viendrait après ; les serments, les promesses d’amour éternel, les réponses, après...que monte la puissance au fond de son corps, qu’elle mouille cette main de son désir sans plus de retenue ni prudence.
Qu’il l’aime, encore, toujours ainsi...

Le reste pouvait attendre.


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